Ouzbékistan : «Notre ami le despote»20/05/20052005Journal/medias/journalnumero/images/2005/05/une1920.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Dans le monde

Ouzbékistan : «Notre ami le despote»

La répression des émeutes ayant éclaté, jeudi 12 mai, à Andijan, quatrième ville d'Ouzbékistan, aurait fait des centaines de morts. Si incertitude il y a, elle porte sur le nombre exact des victimes, par sur le caractère massif et sanglant de l'intervention de l'armée. Depuis des années, même si certains font aujourd'hui semblant de le découvrir, on sait de quelles horreurs est capable le président Karimov, venu en personne sur place veiller au «rétablissement de l'ordre».

Responsable régional du parti du temps de l'URSS, Karimov a, depuis la fin de l'URSS, fait de l'Ouzbékistan (une des cinq anciennes républiques asiatiques de l'URSS) le fief de son clan politico-familial. Second producteur mondial de coton, riche en or, en gaz et en pétrole, le pays est devenu la «chose» des proches du pouvoir et parents du président, qui ont accaparé les principales sources de revenus locales.

Pour couronner ce système, Karimov s'est octroyé une présidence qu'il prolonge depuis seize ans, de référendums en élections truqués, tel le scrutin présidentiel de 2000 où il n'a obtenu «que» 92% des voix. Mais c'est surtout sur la police politique héritière du KGB que compte ce despote. C'est elle qui traque toute forme d'opposition, qui emprisonne, torture et assassine les opposants réels ou supposés.

Pour glorifier son régime, Karimov a dressé partout des statues à Tamerlan qui, au 14e siècle, avait construit par la terreur un immense empire, faisant de Samarcande (seconde ville de l'actuel Ouzbékistan et fief d'origine du clan Karimov) sa capitale. Pour tenter de faire pièce à l'influence russe dans la région et conforter son pouvoir autrement qu'avec des symboles historiques, Karimov avait favorisé l'islamisme, dans un premier temps. S'il croyait le contrôler en subventionnant la construction de mosquées, il dut vite déchanter.

Dans un pays mis à genoux par l'effondrement de l'URSS et le pillage de son économie par les clans de la bureaucratie dirigeante, l'islamisme a pu apparaître comme un recours à certains, démunis de tout. En tout cas, il a été favorisé par le pouvoir en place qui en fit, un temps, la seule forme d'expression tolérée. Au-delà des frontières, ce même courant islamiste se targuait de combattre l'Occident, alors que les grandes puissances impérialistes encensaient les régimes, odieux pour leurs peuples, issus de la décomposition de l'URSS comme des modèles de «démocratie» et de «progrès» dans la région.

Il ne fallait pas grand-chose pour décrocher de tels labels: accueillir des grandes sociétés occidentales ou non (tel l'américain Newmont dans l'or, British and American Tobacco ou le sud-coréen Daewoo dans l'automobile), et surtout des bases militaires. Les attentats du 11 septembre 2001 fournirent à Karimov un prétexte rêvé pour contrebalancer la présence militaire russe sur son territoire en accueillant une base aérienne américaine tout en se faisant décerner un brevet de «combattant du terrorisme».

C'était la bienveillance complice de l'Occident assurée. Quand la France, la Grande-Bretagne, l'Allemagne et à plus forte raison les États-Unis ont-ils jamais dénoncé les méthodes abjectes du despote Karimov?

En tout cas, pas le 1er novembre dernier à Kokand, une ville proche des frontières tadjike et khirgize, quand le régime a réprimé une dizaine de milliers de manifestants qui protestaient contre une colossale augmentation des taxes sur le commerce transfrontalier. Ce commerce est la seule façon de survivre, pour une grande partie de la population qui est plongée dans la misère. Et pas seulement à Kokand, qui employait 70000 travailleurs d'industrie du temps de l'URSS et qui compte 60000 chômeurs aujourd'hui, mais partout dans le pays, où le revenu mensuel moyen (pour autant que cette notion ait encore un sens) tourne autour de deux à trois dizaines de dollars.

Aujourd'hui, après le nouveau massacre d'Andijan, les dirigeants occidentaux se gardent bien de condamner ouvertement Karimov Celui-ci déclare que les émeutes d'Andijan ont été fomentées par les islamistes. C'est possible, car c'est pour délivrer des inculpés, présentés comme islamistes dont le procès était en cours, que les manifestants s'en sont pris au siège de l'administration régionale et ont pris d'assaut une prison de haute sécurité, en libérant 2000 prisonniers d'un coup. Mais ce qui est certain c'est que, si tous les manifestants n'étaient pas (encore) intégristes certains réclamaient «du pain», «du travail», la «démission de Karimov», le massacre perpétré par le régime va être utilisé par les islamistes pour tenter de recruter de nouveaux émules (y compris pour lancer ces désespérés dans des attentats-suicides, comme ceux qui ont fait des dizaines de morts l'an dernier en Ouzbékistan).

Quant à Karimov et à ses pareils dans la région, ils ne vont pas manquer d'utiliser ces événements sanglants pour se présenter, tant du côté de Moscou que de celui de l'Occident, comme des «remparts contre le terrorisme». Après tout, cela marche: ainsi, même quand le Sénat américain, faisant la moue après la répression de la manifestation de Kokand, a décidé de suspendre son aide à Karimov, le Pentagone a répliqué en doublant le montant de son aide militaire au nom de la «lutte contre le terrorisme».

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