Non à la Constitution, et non à la régression sociale20/05/20052005Journal/medias/journalnumero/images/2005/05/une1920.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Editorial

Non à la Constitution, et non à la régression sociale

Ceux qui essaient de nous vendre le projet de Constitution européenne vantent ce qu'ils appellent l'Europe sociale. Jusques et y compris Chirac, Raffarin, Sarkozy, tous ces gens qui, depuis trois ans qu'ils sont au gouvernement, portent coup sur coup aux travailleurs. Mais depuis vingt ans, la prétendue Europe sociale de tous les gouvernements qui se sont succédé, c'est le chômage qui s'aggrave, les salaires qui stagnent, le pouvoir d'achat qui baisse, la précarité qui se généralise, la pauvreté qui s'étend.

En guise de progrès social, le monde du travail en est revenu au niveau de vie d'il y a cinquante ans. Ceux parmi les travailleurs qui ont entre 40 et 60 ans ont subi nombre de reculs. Et combien d'entre eux les ont subis brutalement, par suite d'un licenciement qui les a privés de travail pendant des mois et parfois pendant des années, pour retrouver ensuite un emploi précaire avec un salaire dérisoire? Tous les travailleurs, ceux des chaînes de production bien sûr, mais aussi ceux des bureaux, des hôpitaux ou des grands commerces, ont senti dans l'accélération du rythme de travail, les cadences de plus en plus dures, la morgue croissante de l'encadrement, le mépris des patrons. Et pour les jeunes travailleurs, ceux qui ont vingt ans, il apparaît presque normal de commencer sa vie professionnelle comme chômeur ou de galérer de petits boulots en petits boulots, avant de trouver une embauche - mais seulement comme intérimaire ou en CDD.

Ce n'est certes pas l'Europe qui en est responsable.

L'unification de l'Europe, la suppression des frontières sont en elles-mêmes d'excellentes choses. Mais ce qui nous est demandé le 29 mai, ce n'est pas de nous prononcer pour ou contre l'Europe. C'est d'approuver un projet de Constitution qui ne protège en rien les travailleurs de France et d'Europe, qui ne leur apporte aucun progrès et qui n'utilise le mot «social» que pour tenter de dissimuler le fait qu'elle ne vise qu'à organiser pour les capitalistes leur marché... et ses iniquités.

Les partisans du «oui» prétendent que c'est pour oeuvrer à la paix que les États de l'Europe occidentale se sont engagés dans ce qu'ils appellent la «construction européenne». Mais ce ne sont pas les bons sentiments qui ont motivé leur démarche. La rivalité entre les trois bourgeoisies les plus puissantes du continent, britannique, française et allemande, a dominé l'histoire depuis la moitié du XIXe siècle. Chacun de ces États a cherché pendant plusieurs décennies à occuper la place prépondérante en Europe. Leur rivalité a abouti à imposer aux peuples les deux guerres mondiales du siècle dernier. Faute d'arriver à se départager dans les guerres, ces puissances ont fini par s'entendre pour unifier les marchés nationaux morcelés et pour faire ouvrir les marchés d'Europe de l'Est à leurs capitaux et à leurs produits. Mais le fait que les capitaux britanniques, français, allemands se fassent «librement concurrence» pour dominer, exploiter et piller la partie pauvre de l'Europe ne rend cette domination meilleure ni pour les travailleurs des pays les plus industrialisés, ni pour ceux des pays les plus pauvres. Nous n'avons aucune raison d'approuver cela.

Les partis qui défendent le «oui» nous mentent, comme nous mentent ceux qui, au nom de la «souveraineté nationale», présentent aux travailleurs l'État, la législation sociale de leur pays, comme une protection. Les frontières, les barrières douanières n'ont jamais été faites pour protéger le monde du travail, mais pour protéger les capitalistes et leurs affaires.

La seule perspective qui vaille, pour les travailleurs, ce n'est pas de se réfugier frileusement derrière des frontières ou des douanes, ni de mettre leurs espoirs dans des acquis particuliers contre les travailleurs d'autres pays. Mais c'est, partout en Europe, de lutter pour s'opposer à l'offensive que le grand capital mène sans discontinuer contre le monde du travail.

Voter «non» le 29 mai ne nous fera pas faire l'économie de cette lutte. Mais ce sera au moins le moyen de dire que nous ne sommes pas dupes des mensonges que l'on veut nous faire avaler sur leur prétendue «Europe sociale».

Arlette LAGUILLER

Éditorial des bulletins d'entreprise du 16 mai

Partager