Extraits des allocutions d'Arlette Laguiller à la fête de Lutte Ouvrière (samedi 14 mai)20/05/20052005Journal/medias/journalnumero/images/2005/05/une1920.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

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Extraits des allocutions d'Arlette Laguiller à la fête de Lutte Ouvrière (samedi 14 mai)

«(...) Une fois de plus, notre fête coïncide avec une échéance électorale. Chirac en a décidé ainsi: il a voulu que la Constitution européenne soit approuvée par référendum. Il est vrai que, lorsqu'il a eu cette idée géniale, le «oui» était donné gagnant à 70%. Les sondages ne sont que des sondages mais, pour le moment, «oui» et «non» sont à cinquante/cinquante, et Chirac n'est pas sûr de gagner son pari.

À ce référendum sur la Constitution, nous voterons et nous appelons à voter «non». Cette Constitution européenne se place entièrement sur le terrain du capitalisme, de l'économie de marché, de l'exploitation et du profit, c'est-à-dire de la domination des plus forts. Ce ne sont pas les capitalistes de l'Est européen qui vont exploiter et ruiner l'Ouest de l'Europe. C'est, au contraire, les capitalistes de l'Ouest qui vont exploiter au maximum les travailleurs de ces nouveaux pays récemment intégrés à l'Union. Et cela, encore plus qu'ici, en laissant pour compte des milliers de chômeurs qui espèrent en vain un développement qu'on leur fait miroiter.

Les travailleurs n'ont aucune raison d'approuver une Constitution qui considère la concurrence, c'est-à-dire le rejet du plus faible, la course au profit avec ses corollaires de salaires abaissés, d'exploitation accrue, comme des valeurs morales suprêmes et les met sur un piédestal. Elle n'est ni meilleure ni pire que bien d'autres Constitutions nationales, celle de la Ve République en particulier. Puisqu'ils nous demandent notre avis, il n'est pas question de dire à tous ces gens que les traités, les lois ou les Constitutions qu'ils font dans l'intérêt des capitalistes, ils le font avec l'approbation du monde du travail.

Dans ce référendum, la majorité chiraquienne et la direction du Parti Socialiste se retrouvent côte à côte pour chanter les louanges de ce projet. Eh bien, au moins, les choses sont claires: entre les positions de la droite au pouvoir et celles de la gauche officielle, il n'y a pas plus de distance que l'épaisseur d'une feuille de leur Constitution!

Chirac a affirmé qu'on ne peut pas dire «non» et être pour l'unification de l'Europe. C'est aussi présomptueux que stupide. Comme si l'avenir de l'Europe dépendait du texte indigeste résultant de tractations entre les quelques centaines de délégués à la Convention de Giscard, puis entre les gouvernements des vingt-cinq pays concernés!

Eh bien, je rappelle que le courant communiste dont nous nous revendiquons affirmait que l'unification de l'Europe était une nécessité, à une époque où les hommes de gouvernement, les ancêtres politiques de Chirac, désignaient encore l'Allemagne comme l'ennemie héréditaire de la France, et que leurs semblables allemands en faisaient autant dans l'autre sens, en préparant de part et d'autre ces deux guerres du siècle dernier qui sont devenues des guerres mondiales!

Le Parti Socialiste, lui, prétend qu'en votant «oui», on vote pour l'Europe sociale. Le slogan «l'Europe sociale passe par le oui» est même le leitmotiv de sa campagne électorale que l'on voit sur ses affiches.

Regardons-la, leur Europe sociale!

C'est une Europe qui compte 18 millions de chômeurs officiellement recensés.

C'est une Europe où les conseils d'administration des groupes capitalistes ont le droit de décider de mettre à la porte des milliers de travailleurs, de ruiner des régions entières, sans qu'ils aient de comptes à rendre à quiconque.

C'est une Europe où les salaires sont bloqués et où, même dans sa partie réputée la plus riche, en France notamment, les salaires ne permettent pas à un très grand nombre de travailleurs de vivre correctement. Et à plus forte raison, dans la partie pauvre de l'Europe où les salaires sont quatre, cinq, voire dix fois inférieurs à ceux d'ici.

C'est une Europe où se généralisent partout la précarité et la flexibilité.

C'est une Europe où l'âge de la retraite recule et les pensions diminuent.

C'est une Europe où les cotisations sociales augmentent alors que les remboursements diminuent.

C'est une Europe où ce qu'on n'appelle même plus les «services publics» sont partout remis en cause.

Oh, nous savons très bien que tout cela, ce n'est pas la faute de l'Europe, et encore moins d'une Constitution encore à venir! C'est le fonctionnement ordinaire de l'économie capitaliste. La recherche du profit pousse partout le grand patronat et la classe capitaliste à fouler aux pieds les conditions d'existence des travailleurs. Et ils le font partout avec l'aide des gouvernements nationaux, dont les politiques antiouvrières, et même les mots pour les justifier, se ressemblent d'un pays à l'autre, au point de ne plus savoir lequel est dirigé par la droite, lequel par la gauche.

Mais, justement, il n'y a rien dans cette Constitution, absolument rien pour protéger les travailleurs contre cela.

Leur Union européenne est faite contre les travailleurs, non pas parce que l'Union est mauvaise, mais parce que chacun des pays qui composent l'Union est dominé par le grand capital.

Pour assurer, dans les conditions les plus profitables aux grands trusts, la circulation des marchandises et des capitaux, pour harmoniser les investissements, là, il y a des dizaines et des dizaines de pages dans la Constitution et il y a même des tribunaux internationaux. Mais rien pour établir un salaire minimum européen qui permette de vivre décemment. Rien qui donne aux travailleurs des moyens de se défendre face aux patrons voyous qui imposent le chantage: «Ou vous acceptez un salaire en baisse, ou on ferme». Or, avec un cynisme plus ou moins grand, tous les patrons sont des patrons voyous.

Rien dans cette Constitution pour protéger les travailleurs contre le chômage. Rien pour garantir aux salariés le droit au travail, «le seul droit sérieux que l'ouvrier ait dans une société fondée sur l'exploitation».

Il n'y a rien, dans cette Constitution, de progressiste, même dans les domaines où, pourtant, cela ne coûterait rien au grand patronat. Rien pour contrebalancer au niveau européen ce que certaines législations nationales ont de réactionnaire. Rien qui, dans les pays où l'on refuse jusqu'au droit au divorce, pourrait aider à faire évoluer les lois.

Les capitalistes d'un pays qui se considèrent lésés dans leurs affaires dans un autre pays européen trouveront dans la Constitution une multitude d'articles auxquels se référer pour porter plainte à La Haye ou à Bruxelles et avoir gain de cause. Mais il n'y a rien de tel pour les femmes qui, en Irlande, au Portugal, à Malte ou en Pologne, voudraient obtenir que, dans leurs pays, soit respectée cette liberté élémentaire qu'est le droit à l'interruption volontaire de grossesse.

Notre raison de voter «non», c'est tout simplement cela: il n'y a rien dans cette Constitution qui apporte un progrès ou un avantage quelconque pour la majorité de la population. Pour favoriser le commerce et les profits, il y a dans la Constitution des mesures concrètes. Pour les êtres humains et leurs droits, il n'y a que les mots creux d'une charte dite «des droits fondamentaux». (...)

Il ne faut pas attendre de ce référendum plus qu'il ne peut donner

Tout en défendant notre politique dans toutes les consultations électorales, nous continuons à affirmer que les changements essentiels pour les travailleurs ne sont jamais sortis des urnes. Il est arrivé dans le passé que les urnes consacrent une victoire obtenue dans les luttes, mais jamais elles n'ont permis aux travailleurs de faire l'économie de ces luttes.

Alors, le 29 mai, il faudra voter «non». Mais, pour faire reculer le grand patronat, pour obliger le gouvernement à revenir sur les mesures anti-ouvrières de ces dernières années, il faudra autre chose. Oh, certes pas les élections de 2007, comme nous le chantent les dirigeants du Parti socialiste, qu'ils soient pour le «oui» ou qu'ils soient pour le «non»!

Car les gouvernements de droite n'ont pas le monopole des mesures anti-ouvrières. Et la dégradation des conditions d'existence des travailleurs s'est poursuivie aussi bien sous les gouvernements Fabius, Rocard ou Jospin que sous les gouvernements Balladur ou Raffarin.

Le grand patronat ne cédera pas devant les bulletins de vote. Il ne cédera que devant un mouvement de grèves et de manifestations menaçant de se généraliser et que ses serviteurs politiques ne pourraient plus ni arrêter ni canaliser.

Voter «non» le 29 mai ne nous permet pas de faire l'économie de la lutte avec les armes de notre classe. Mais, au moins, nous n'aurons pas cautionné un projet de Constitution taillé sur mesure par et pour le grand patronat.»

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