Prises d’otages : De la libération des journalistes et du «droit à l’information»06/05/20052005Journal/medias/journalnumero/images/2005/05/une1918.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Leur société

Prises d’otages : De la libération des journalistes et du «droit à l’information»

Depuis le 5 janvier 2005, date où la journaliste Florence Aubenas et son guide, Hussein Hanoun Al-Saadi, ont été enlevés à Bagdad, une intense campagne est menée en leur faveur. Cette campagne réclame leur libération, ainsi que celle des autres otages, tout en se voulant, en même temps, une campagne pour le «droit d'informer» ou pour la «liberté de la presse».

Être solidaires de l'objectif demandant la libération de la journaliste et de son guide va de soi. D'autant que ceux qui les ont enlevés sont des groupes terroristes, si ce ne sont de simples bandits courant après une rançon, qui n'ont aucun respect de la vie des autres (pas plus celle des Irakiens que des journalistes étrangers enlevés). La situation imposée aux journalistes otages -et ce qui est arrivé à la journaliste italienne Sgréna est parlant- laisse entrevoir la vie qui est celle de beaucoup d'Irakiens, soumis tout à la fois au terrorisme de l'armée américaine d'occupation et aux agissements des bandes armées qui prétendent la combattre.

Cela dit, la solidarité pour la libération des otages n'implique en rien la solidarité avec la campagne des patrons de presse se faisant passer pour les défenseurs de la «liberté de la presse» ou du «droit à l'information».

La liberté de la presse? Mais elle est toute relative même dans les démocraties occidentales où existe la pluralité des titres et où ne s'exerce aucune censure gouvernementale. La presse est dominée ici, en France, comme ailleurs par des groupes financiers, voire par des trusts ayant des intérêts dans différents domaines, et, parmi eux, par l'engeance qui s'enrichit en vendant des armes, des avions de combat, des missiles, les Dassault ou les Lagardère. Pour eux comme pour les autres, le «droit à l'information des citoyens» qu'ils prétendent défendre, c'est surtout leur droit de vendre du papier et de la publicité avec profit, exactement comme leurs semblables d'autres secteurs vendent des automobiles, des produits cosmétiques ou des centrales nucléaires.

C'est encore leur droit de faire du profit avec le travail de tous leurs salariés et, à l'occasion, avec la peau de leurs journalistes.

Et aussi, et ce n'est pas le moins important, leur droit d'influencer l'opinion en fonction de leurs intérêts.

À la différence du capital investi dans l'immobilier ou les conserves de petits pois, le capital investi dans les médias donne à son propriétaire le pouvoir de forger l'opinion publique dans le sens qui lui convient, de distiller le conformisme social, de faire passer par exemple comme des évidences qui transcendent les divergences de vues que l'économie de marché, le profit sont naturels.

Les patrons de presse, défenseurs vertueux et désintéressés du droit à l'information? Mais c'est un conte de fée pour enfants naïfs! À supposer même que les journalistes ou les grands reporters envoyés en Irak ou ailleurs pour rapporter l'information ou l'image qui fait vendre soient aussi lucides qu'objectifs, l'information qui passera est une information filtrée pour que ça convienne aux Bouygues, Dassault, Lagardère et autres. Il n'y a aucune raison que ces informations soient plus véridiques ou plus fiables que ce que les journaux racontent, ou ne racontent pas, sur la vie des classes populaires ici même, en France. Tout au plus, les informations venues de loin sont-elles plus difficiles à vérifier.

Étant donné l'attitude réservée du gouvernement français par rapport à l'intervention américaine en Irak, il se peut que les informations qui passent soient moins unilatérales que celles qui remplissent certains journaux américains ou, en Italie, les journaux appartenant à Berlusconi.

Mais qui pouvait se fier en France à la véracité des informations pendant la guerre d'Algérie? Dans la grande presse, les Algériens qui se battaient contre la mainmise coloniale sur leur pays étaient traités de bandits et il ne s'est guère trouvé d'articles scandalisés sur les tortures, les assassinats et autres hauts faits d'armes de «nos» Massu et autres Aussaresses. Cinquante ans après, on en est encore à essayer de démêler le vrai du faux. Et, s'il y a une certitude, c'est qu'à l'époque, l'écrasante majorité de la presse n'a pas cherché à informer mais à désinformer. Elle mentait, sciemment.

Alors, liberté pour Florence Aubenas et Hussein Hanoun Al-Saadi, oui! S'associer à la campagne des patrons de presse, certainement pas!

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