Viticulteurs en colère : La concentrationjusqu'à plus soif ?28/04/20052005Journal/medias/journalnumero/images/2005/04/une1917.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Leur société

Viticulteurs en colère : La concentrationjusqu'à plus soif ?

Le 20 avril, des milliers de viticulteurs du Languedoc-Roussillon ont manifesté dans les rues de Narbonne. Ils réclamaient que le gouvernement prenne des mesures afin d'empêcher leurs revenus de baisser et demandaient des aides financières, des allégements de charges et même que l'État leur achète directement leur production sous la forme d'une "distillation d'urgence", comme cela se fait chaque fois qu'il faut "écouler l'excédent".

Bref, les viticulteurs veulent le genre de faveurs que l'État accorde automatiquement aux grands groupes capitalistes et, de temps en temps, en général avant une élection ou après l'incendie d'une préfecture, aux petits et moyens exploitants agricoles.

Les viticulteurs du Midi produisent la majeure partie de ce qu'on appelle le vin de table et le vin de pays. Ce vin est de moins en moins consommé: en 20 ans 240000 hectares de vignobles de cette catégorie ont été arrachés. Le vin de table ne représente plus que 30% de la production française contre plus de 60% (25 millions d'hectolitres) pour le vin d'appellation contrôlée. Les pouvoirs publics poussent donc les vignerons qui le peuvent à changer de métier ou à "faire le choix de la qualité". Encore faut-il que le terroir le permette, que l'agriculteur trouve les crédits nécessaires pour changer ses vignes et son matériel et que sa nouvelle appellation trouve des acheteurs.

Car la "crise du vin" ne concerne pas seulement les producteurs de vin de table. Elle touche aussi les producteurs de vins d'appellations contrôlées. La concentration dans le secteur de la distribution soumet les viticulteurs aux grands groupes de distribution (Carrefour, Auchan, Leclerc) qui peuvent quasiment imposer leurs prix aux petits producteurs, même regroupés en coopératives. Or le vin est essentiellement produit par des petits producteurs et il est distribué à 75% par les grands magasins. Les viticulteurs subissent ainsi le sort de tous les producteurs agricoles.

Dans le même temps les vignobles de Californie, d'Australie, du Chili, etc., se sont développés en superficie et ont amélioré la qualité de leurs vins. Ce sont des vignobles bien plus rentables que les vignobles français, parce qu'ils sont cultivés sur une large échelle, avec des moyens de culture et de vinification industriels. Par exemple, il y a en Australie 123000 hectares pour 1200 propriétés, ce qui fait 100 hectares par vignoble en moyenne, produisant un vin de qualité uniforme, à comparer à la moyenne de 8 hectares par exploitation viticole en France. Sur le marché mondial, chasse gardée des vins français depuis des centaines d'années, la part des appellations contrôlées recule tous les ans. La hausse des prix du vin compense pour l'instant la baisse des ventes, d'après les statistiques gouvernementales, mais il y a quand même 56 millions d'hectolitres qui ne trouvent pas preneur au niveau mondial et ce sont les petits vignerons qui risquent de trinquer les premiers.

Des petits paysans viticulteurs aux capitalistes de la distribution

Chez les viticulteurs, comme dans toute la paysannerie, il y a un monde entre le paysan qui travaille sa terre, la foule des petits patrons qui vivent bien et même très bien mais sont à la merci de forces qui les dépassent (le marché mondial, le Crédit Agricole, l'Etat...) et le capitaliste de l'agro-alimentaire. Le deuxième producteur mondial de vins et spiritueux est le groupe Pernod Ricard, dont l'actionnaire majoritaire est la famille Ricard, inventeur de l'apéritif du même nom. Ce groupe vient de proposer de racheter un de ses concurrents pour plus de 10 milliards d'euros et espère devenir ainsi le premier groupe mondial. Les marques qu'il fabrique et distribue sont des poroduits de l'industrie, fabriqués dans des usines, qu'il s'agisse de Ricard, de cognac, de vodka, de whisky ou même de vin. Pernod Ricad possède Jacob Creek, le premier exportateur de vin australien, de même qu'il possède Long Mountain, un des plus importants vignobles sud-africains et qu'il a racheté des vignobles dans les pays d'Europe centrale et en Amérique du Sud pour exporter leur production. C'est donc le concurrent direct des viticulteurs, tant pour les vins de table que pour les appellations contrôlées à destination du marché mondial.

Pour l'instant, la concentration de la propriété et de la production n'a pas été faite dans la viticulture comme dans d'autres secteurs de la production agricole. Mais elle est déjà réaliée dans la distribution et rien ne dit que cela s'arrêtera là. Par rapport aux intérêts et à la puissance de Pernod Ricard, l'avenir des 110 000 exploitants viticoles isolés sur leurs parcelles et celui de la multitude de crus et de bouquets qui découle de ce morcellement sont de la petite bière.

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