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Leur société
Prud’hommes : Comment les patrons veulent imposer leur loi
Une conseillère prud'homale de Bobigny (Seine-Saint-Denis), élue sur une liste patronale, accuse le Medef de donner pour consigne à ses élus de ne jamais condamner PSA-Citroën, un des plus gros patrons du département et un de ceux qui se retrouvent régulièrement devant le tribunal des prud'hommes.
Le tribunal des prud'hommes juge les affaires opposant des salariés à leurs employeurs, sur la base du droit du travail et de sa jurisprudence. Il se compose de quatre conseillers, deux élus par les employeurs et deux élus par les salariés, et prend ses décisions à la majorité, lors de délibérations secrètes. En cas d'égalité des voix, en général employeurs contre salariés, l'affaire est «mise en départage» et est jugée par un magistrat professionnel. Cela a pour premier effet de retarder le jugement de plusieurs mois, jusqu'à vingt-trois mois de délai à Bobigny. De plus, il se trouve que les patrons ont plus facilement l'oreille des magistrats que les simples salariés et qu'ils se procurent plus aisément de quoi se payer un avocat. Et de toute façon, le patron a intérêt à attendre avant d'avoir à payer, par exemple, une prime de licenciement. Le salarié, lui, n'a qu'à prendre son mal en patience et son tour à l'ANPE.
En avril 2003, Mme De Morsier, la conseillère prud'homale de Bobigny, avait voté avec les juges salariés et contre l'autre juge employeur, dans une affaire concernant deux ouvriers de l'usine Citroën d'Aulnay-sous-Bois. Les deux ouvriers avaient donc obtenu satisfaction... et la juge patronale avait été convoquée par le Medef pour se faire expliquer qu'un patron, surtout de la taille de Citroën, a toujours raison. Pour plus de sûreté, le président du tribunal (employeur) a tout simplement arrêté de l'inscrire aux audiences du tribunal. En fin de compte, la conseillère porte plainte contre le Medef 93 pour avoir donné des «mandats impératifs», c'est-à -dire des consignes de vote, aux juges patronaux, ce qui est illégal.
Il est vrai que les conseillers, employeurs et salariés, sont censés juger «en leur âme et conscience». Du côte des juges patronaux, on peut être certain que la plupart votent selon leur conscience... de classe, et sans avoir besoin de se la faire expliquer par le Medef, c'est-à-dire qu'ils donnent raison à l'employeur par principe et quels que soient les faits. Cette attitude des patrons devenant systématique, le nombre de «départages» est de plus en plus élevé. Il s'agit bien souvent de cas où les juges patronaux ont refusé de reconnaître les torts de l'employeur, alors que les droits du salarié et le droit du travail sont ouvertement bafoués. Par exemple, pour ce genre de conseiller prud'homal, la notion de «licenciement abusif», protection pourtant bien légère, n'existe pas. Pour eux, le patron a toujours raison de licencier, tout simplement parce qu'ils militent pour le droit absolu et sans entrave de jeter à la rue qui et quand ils veulent. Ils appliquent donc en quelque sorte leur loi, avant même qu'elle ne devienne, grâce à Raffarin ou à un autre, «la loi».
Les conseillers élus par les salariés, et pas seulement à Bobigny, se trouvent confrontés à cela à chaque audience de leur tribunal. L'attitude de plus en plus arrogante des patrons ne se ressent pas seulement sur les lieux de travail et ne s'exprime pas uniquement par l'intermédiaire de leurs représentants corporatifs et politiques. Ils en sont parfois à dicter directement leurs décisions aux juges de ces tribunaux en principe indépendants et impartiaux.