Il y a 50 ans, l'Autriche recouvrait sa souveraineté : Les anciens nazis recyclés par le Parti social-démocrate31/03/20052005Journal/medias/journalnumero/images/2005/04/une1913.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Dans le monde

Il y a 50 ans, l'Autriche recouvrait sa souveraineté : Les anciens nazis recyclés par le Parti social-démocrate

2005 est officiellement en Autriche l'année du "Jubilé". C'est en 1955 en effet, dix ans après la fin de la Seconde Guerre mondiale, que les quatre puissances occupantes, la Grande-Bretagne, les États-Unis, l'Union soviétique et la France, rendirent à l'Autriche sa souveraineté.

À l'occasion de cet anniversaire, la parution d'un livre vient de faire quelque bruit, car il traite de la façon dont un organisme influent, la BSA (Association des diplômés socialistes), très proche du Parti social-démocrate autrichien (le SPÖ), a servi de machine à recycler les anciens nazis.

La droite et l'extrême droite forment actuellement un gouvernement de coalition mené par le chancelier Schüssel. Mais la social-démocratie n'a pas répugné non plus à des alliances avec l'extrême droite. Ce fut le cas au sein d'un gouvernement de coalition qui a duré trois ans, de 1983 à 1986, sans que personne à l'époque ne parle de sanctions. Actuellement encore la Carinthie, le Land du populiste d'extrême droite Jörg Haider, est dirigée par une coalition avec l'extrême droite à laquelle participe la gauche.

L'appareil d'État reconstitué avec l'apport des anciens nazis

Il était connu que d'anciens membres du parti nazi en Autriche avaient pu continuer à faire carrière dans la politique. Mais on parlait de simples adhérents, censés n'avoir pas occupé de postes trop importants dans l'Autriche d'après-guerre. Quelques scandales avaient déjà montré la part de fable qu'il y avait dans cette version des faits. Par exemple, si les deux premiers chanceliers autrichiens avaient subi les camps de concentration, d'autres n'eurent pas le même parcours: ainsi Julius Raab, chancelier de 1953 à 1961, était un ancien dirigeant de la Heimwehr, troupe paramilitaire d'extrême droite, responsable des massacres antiouvriers de février 1934. De 1966 à 1970, c'est un ancien dirigeant de l'Association allemande des étudiants, Josef Klaus, connu pour son passé d'agitateur antisémite, qui fut chancelier.

En réalité c'est tout l'appareil d'État, que la défaite militaire de 1945 avait laissé en ruines, qui fut reconstruit en Autriche grâce à l'apport de nombreux nazis, et pas des moindres. Récemment, un hebdomadaire rappelait le cas d'Hermann Hiltscher, nazi de la première heure, décoré de la médaille d'honneur du NSDAP (le Parti national-socialiste), juge d'instruction sous Hitler et resté en place au tribunal de Vienne jusqu'en 1968. Mais il y en eut bien d'autres, qui occupèrent des postes dans l'appareil d'État ou à la tête des entreprises nationalisées.

Un certain nombre de ces anciens nazis passèrent par l'ÖVP, le parti de la droite catholique en Autriche. Mais nombreux furent aussi ceux qui passèrent par les rangs de la social-démocratie.

Le SPÖ devient machine à recycler

En 1945 en effet les social-démocrates avaient un problème: avant-guerre, le SPÖ était un parti très marqué par son passé ouvrier et ne comptait que peu d'intellectuels ou de membres issus de la petite bourgeoisie. Et quand c'était le cas, il s'agissait souvent de Juifs qui avaient fini leur vie dans les camps de la mort, ou en exil, comme Otto Bauer.

En 1945, les politiciens qui reconstruisirent le SPÖ cherchèrent à maintenir à l'écart les socialistes exilés, parmi eux les nombreux militants d´origine juive, qui avaient fui l'arrivée du fascisme. Il y avait peut-être là un sordide calcul de lutte des places et le calcul cynique de flatter une partie de l´électorat antisémite. Mais il y avait aussi un objectif politique qui ne pouvait que plaire aux puissances occupantes, celui d'écarter ceux qui étaient considérés comme trop "austromarxistes", c'est-à-dire trop marqués par les traditions ouvrières, encore très présentes en Autriche. Le dirigeant du SPÖ d'alors, et vice-chancelier dans un gouvernement de coalition menée par la droite, ne disait-il pas en 1946: "L'ennemi se trouve à gauche". Etaient visés le Parti Communiste, très affaibli, et surtout l'aile gauche du SPÖ.

Le SPÖ manquait donc de cadres "sûrs" et il alla les chercher là où il y avait de l'offre, auprès des anciens nazis désireux de se reconvertir. C'est à cela que servit la BSA fondée en mai 1946. Après une courte traversée du désert dans cette association, d'anciens nazis réapparurent sous l'étiquette SPÖ pour faire carrière: dans le Land de Steiermark, 70% des membres de la BSA, deux ans après sa fondation, étaient d'anciens nazis; ils étaient 58% en Haute-Autriche, 26% à Salzbourg ou 15% à Vienne.

On retrouva ces personnages à la tête de l'État: les ministres de l'Agriculture successifs sous le chancelier social-démocrate Kreisky étaient d'anciens nazis; un ancien membre de la Gestapo fut pendant vingt-trois ans le maire adjoint social-démocrate d'Innsbruck; un président de la police à Salzburg, affilié au SPÖ, était un ancien SS de la division "das Reich" ; un ancien haut dirigeant SS devenu membre du SPÖ fut pendant seize ans le directeur des aciéries Voest, la plus grande entreprise d'Autriche, une entreprise nationalisée, puis vice-président de la Banque Nationale en 1988.

Jusqu'en 1955, tout cela se passait sous l'oeil attentif et bienveillant des alliés soucieux de voir se reconstruire un État au service des possédants. Le cas de la petite Autriche ne fut pas d'ailleurs isolé: cela se passa également dans l'Allemagne de l'après-guerre, à une plus grande échelle.

Tant il est vrai que pour la bourgeoisie ce qui compte, c'est de disposer d'un appareil d'État efficace, sans trop s'occuper du passé de ses serviteurs. Ce n'est pas l'exemple de la France qui prouvera le contraire, où de Gaulle, la gauche parlementaire et la droite, associés au pouvoir après la "Libération", surent recycler en "bons démocrates" la grande majorité des hauts fonctionnaires (à commencer par un certain Papon), des juges et des policiers qui avaient sévi pendant l'occupation.

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