Grande-Bretagne : Législation antiterroriste - Au pays de l'Habeas corpus, la vieille tradition des lois d'exception17/03/20052005Journal/medias/journalnumero/images/2005/03/une1911.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Dans le monde

Grande-Bretagne : Législation antiterroriste - Au pays de l'Habeas corpus, la vieille tradition des lois d'exception

Le 12 mars, après un mois de débats houleux, le gouvernement travailliste de Tony Blair a fini par obtenir la prolongation de sa législation antiterroriste qui venait à échéance deux jours plus tard.

Sans la campagne pour les élections qui doivent avoir lieu en mai, cela n'aurait été qu'une simple formalité. Mais par les temps qui courent, l'opposition cherche à souligner sa différence avec le gouvernement, tant sa politique est indiscernable de celle de Blair. Avoir l'air de s'opposer à une loi qui, pour une partie de l'opinion, est liée à la politique de Blair en Irak, lui permet d'essayer de capter des votes hostiles à la guerre, sans que cela l'engage à rien. Elle s'en est donc donné à coeur joie, quitte à concéder à Blair tout ce qu'il demandait à la dernière minute, en attendant une "révision en profondeur" de la loi dans un an.

Comble d'ironie, sous couvert de "libéraliser" l'ancienne version de la loi, dont certaines dispositions avaient été déclarées illégales par la Cour Suprême en décembre dernier, cette nouvelle mouture ne fait que la renforcer. Car si le ministre de l'Intérieur devra en passer par un juge (nommé par ses soins) pour entériner l'assignation à résidence, voire l'emprisonnement sans jugement de "suspects", la loi s'appliquera désormais, non plus seulement aux ressortissants étrangers comme l'ancienne version, mais également aux citoyens britanniques!

Ceci étant, il faut rappeler que ce prétendu bastion de l'Habeas corpus et du respect des droits de la défense qu'est la Grande-Bretagne, vit depuis près d'un siècle sous la menace quasi permanente de mesures d'exception qui sont réactivées de temps à autre, au fil des besoins du pouvoir en place.

À la fin des années 1960, l'explosion de la poudrière sociale créée par l'occupation britannique de l'Irlande du Nord remit l'usage de telles mesures au premier rang de la scène politique. Vinrent alors l'introduction de l'internement puis, en 1974, celle de la loi de Prévention du terrorisme, ancêtre de la législation actuelle, par les travaillistes.

Au nom de ces mesures d'exception, des dizaines de milliers d'individus furent harcelés, surveillés, arrêtés, assignés à résidence, internés, voire torturés. Et si parmi eux se trouvaient sans doute des activistes de l'Armée Républicaine Irlandaise, un grand nombre, sinon la majorité, étaient des militants politiques ou syndicaux "coupables" d'avoir exprimé leur soutien à la cause irlandaise, voire des femmes ou des hommes des classes populaires dont le seul crime était d'avoir un nom à consonance irlandaise ou d'avoir leurs habitudes dans un pub irlandais.

Après l'accord de paix de Belfast, en 1997, Blair conserva la loi de Prévention du terrorisme. En février 2001, elle fut "ré-habillée", sous prétexte de combattre le "terrorisme international". On était encore à sept mois des attentats du 11 septembre, mais déjà cette nouvelle loi, qui donnait des pouvoirs illimités au ministre de l'Intérieur et à la police, préfigurait le "Patriot Act" que Bush allait faire adopter aux États-Unis à la fin de la même année.

Sa définition du terrorisme incluait tout ce qui visait à entraver les institutions de l'État et pouvait inclure à peu près n'importe quelle forme de lutte extra-parlementaire -grèves, manifestations de rue, etc.- à l'appréciation des seules autorités. On l'a vu l'an dernier lorsque, au nom de cette loi, des pacifistes qui protestaient en toute légalité contre une foire de l'armement se sont vu emprisonner sans autre forme de procès.

Depuis 2001, cette loi a surtout donné libre cours au racisme rampant de la police. D'innombrables arrestations ont visé des jeunes d'origine pakistanaise, indienne ou bengali, dont la barbe était jugée trop longue pour être honnête, mais aussi des jeunes d'origine africaine ou antillaise, coupables du "délit de faciès". Sur les 800 arrestations officiellement effectuées en quatre ans, en tout sept inculpations ont été prononcées, et aucune condamnation. C'est dire le caractère arbitraire de ce harcèlement. En revanche, 17personnes auront passé de deux à quatre ans en prison, sans jugement, astreintes à 22 heures de confinement solitaire par jour, sans droit de visite, ce qui a valu aux deux prisons qui les abritaient le sobriquet de "Guantanamo de Blair".

La détermination qu'a montrée Blair à faire passer cette loi n'a pas grand-chose à voir avec le "terrorisme". L'arsenal répressif britannique est bien suffisant à cet égard. Sans doute a-t-il quelque chose à voir avec sa volonté de continuer à apparaître comme l'allié privilégié de Bush. Mais surtout, comme le montre l'histoire, elle illustre le souci des classes possédantes de perfectionner en permanence leurs instruments de répression. Cela peut toujours servir, non seulement contre les terroristes, mais contre tous ceux qui pourraient gêner le gouvernement.

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