Tout va très bien... version allemande09/03/20052005Journal/medias/journalnumero/images/2005/03/une1910.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Tribune de la minorité

Tout va très bien... version allemande

Il se dit satisfait, le grand chef du Conseil central d'entreprise d'Opel en Allemagne, et responsable de l'IG Metall, du contrat qu'il vient de passer avec la direction du trust General Motors dont Opel est une filiale à 100%. Un «contrat d'assurance sur l'avenir», qui promet que de futurs modèles de taille moyenne seront construits ou montés sur les sites allemands de Bochum, Rüsselsheim et Kaiserslautern. Qui promet seulement, d'ici 2010. Ensuite, personne n'assure plus rien! Mais la bureaucratie syndicale est satisfaite. Et elle a ses petits plaisirs: comme la direction du trust américain a lésé tout autant les travailleurs d'Allemagne (Opel), que de Suède (Saab) et d'Angleterre (Vauxhall), les bonzes syndicaux de ces trois pays se félicitent de ne pas s'être brouillés entre eux. Ils peuvent rester larrons en foire... sur le dos des travailleurs. Vive la bureaucratie syndicale européenne!

Car c'est sacrément travestir la réalité que se féliciter d'aucun licenciement sec. C'est passer pour pertes et profits 9500 suppressions d'emplois. Départs en pré-retraites. Départs volontaires (prends l'oseille et tire-toi). Départs pour des firmes externalisées bidons, de purs sas vers le chômage financés par l'État. Attention, il paraîtrait que la formule ressemble au projet français de «contrat de travail intermédiaire» de Jean-Louis Borloo.

C'est sacrément travestir la réalité que minimiser les clauses drastiques, en matière de salaire et de temps de travail, imposées à ceux qui restent. Savant panachage, dans le temps, de stagnation et de diminution du salaire de base. Réductions et suppressions sévères de primes (dont celles de Noël et de vacances). Non rémunération des pauses, etc. Et par-dessus le marché, la flexibilité presque totale des horaires est introduite, dans une marge de 30 à 40 heures hebdomadaires, sans compensation pour heures supplémentaires ou samedis travaillés (jusqu'à 15 dans l'année).

Mais encore une fois, Klaus Franz, chef du Conseil central d'entreprise et du syndicat, est satisfait: «En mettant en oeuvre ce plan social sans licenciements secs, nous avons atteint notre objectif». Il ne ment pas. Il n'avait pas d'autre objectif, et surtout pas celui que les travailleurs bousculent les plans de la direction. Surtout pas quand ils en avaient quelques moyens, en octobre dernier, quand la colère a conduit à 6 jours de grève sauvage à Bochum. C'est ce Klaus Franz qui a alors piloté les multiples manoeuvres pour que le conflit cesse et ne s'étende pas.

Ce contrat ainsi bouclé chez Opel, intervient sur fond d'un chômage croissant dans le pays. Le nombre officiel des chômeurs atteint les 5,2 millions. Soit un taux national de 12,6%, mais près 20,7% à l'Est. Dans le Mecklembourg-Poméranie occidentale, le quart de la population active est au chômage. Les lois «Hartz-IV» du gouvernement Schröder, une sévère baisse de l'indemnisation du chômage entrée en vigueur au 1erjanvier 2005, rendent encore plus précaires les conditions de vie des licenciés. Au bout de 12 mois au lieu de 32 auparavant (sauf pour ceux de plus de 55 ans), ils n'ont plus droit qu'à une aide sociale minimale (345 euros mensuels à l'Ouest, 331 à l'Est, auxquels il faut ajouter quelques aumônes pour le logement, le chauffage, les vêtements, les frais scolaires, versées en échange de vérifications humiliantes que l'allocataire est bien pauvre et sans aide familiale!).

S'ajoute la nouveauté des «jobs à un euro». Les chômeurs ravalés au minimum social sont invités à des tâches de garderie d'enfants, de soins aux vieux, de jardinage. Travaux dits d'utilité publique, pour lesquels ils touchent 1 euro de l'heure. 600000 d'entre eux suppléent ainsi les carences des services publics, qui n'embauchent plus, ne forment plus le personnel nécessaire, ne remplacent plus les profs par exemple. Ainsi, à Berlin, près de 500 personnes assurent des remplacements de maîtres nageurs, profs de langue, dans les établissements scolaires. Et au diable l'embauche de personnel qualifié, payé au tarif des contrats collectifs! Si les chômeurs refusent ces jobs, leur indemnité est amputée. Mais qu'à cela ne tienne, la bureaucratie syndicale réitère son soutien au gouvernement. Selon le chef de la DGB, les reculs de l'« État providence» seraient inéluctables.

Et tandis que les chômeurs isolés sont aux prises avec les pires tracasseries, tandis que les travailleurs en activité sont confrontés à des bureaucraties syndicales juste préoccupées d'éviter ou d'étrangler tout conflit d'ampleur, les grands trusts et banques annoncent à la fois des profits fastueux et des licenciements massifs. Records de profits vont de pair avec records de chômage. En 2004, les gains officiels totaux des entreprises allemandes ont augmenté de 10%, pour atteindre les 493 milliards d'euros.

Y'a quelque chose qui cloche là-dedans. Les patrons licencient, les gouvernants prennent des mesures qui rendent les travailleurs et les chômeurs plus durement exploitables, les bureaucrates syndicaux avalisent et donnent leur bénédiction. Il est vraiment temps que les travailleurs fassent reculer cette sainte trinité.

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