Liban L'indépendantisme libanais et les responsabilités de l'impérialisme français03/03/20052005Journal/medias/journalnumero/images/2005/03/une1909.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Dans le monde

Liban L'indépendantisme libanais et les responsabilités de l'impérialisme français

Lundi 28 février, en annonçant sa démission, le Premier ministre libanais Omar Karamé a pris de court une opposition qui avait annoncé vouloir tenir la rue contre lui et son gouvernement. Mais la crise ouverte par l'assassinat de Rafic Hariri, le 14 février à Beyrouth, ne fait sans doute que commencer.

L'assassinat de cet ancien Premier ministre, qui avait de bonnes probabilités de le redevenir, a donné aux différents partis et personnalités dénonçant la présence syrienne au Liban l'occasion de faire l'unité. Dimanche 27 et lundi 28 février, alors que le Parlement s'apprêtait à ouvrir un débat sur l'attentat, ils ont réussi à rassembler des dizaines de milliers de leurs partisans dans les rues de la capitale libanaise.

La Syrie mise en cause

Ainsi, la situation créée par l'attentat contre Rafic Hariri, le soutien des États-Unis et de la France encouragent tous ceux qui, au nom de "l'indépendance" du Liban, réclament un retrait des troupes syriennes stationnées dans le pays, accusant le régime de Damas d'avoir commandité cet assassinat.

Bien sûr, les conditions dans lesquelles l'attentat a été préparé indiquent que ses auteurs disposaient d'importants moyens et de larges complicités, sans doute à un niveau élevé, auprès de diverses autorités. Cela permet de montrer du doigt les services secrets libanais et syriens, et au-delà le régime de Damas et le gouvernement libanais pro-syrien d'Omar Karamé et du président Émile Lahoud.

Mais si les services secrets syriens semblent en effet coutumiers de ce type d'opération, dans la région ils ne sont pas les seuls, ni les seuls présents au Liban. Et puis, même si l'on retient l'hypothèse d'une action de certains services syriens, on peut se demander s'ils ont vraiment agi avec l'assentiment de leurs dirigeants politiques ou s'ils ont agi de façon autonome. Il est possible que le dirigeant syrien Assad lui-même ne contrôle pas tout à fait ses propres services, que certains de ceux-ci obéissent aux calculs d'un clan du régime contre un autre, voire à d'autres commanditaires.

En tout cas on voit mal pourquoi le régime de Bachar El Assad lui-même aurait ordonné le meurtre d'Hariri. Celui-ci, au pouvoir pendant des années, s'était montré coopérant avec la Syrie. Même dans l'opposition au gouvernement dit "pro-syrien" de Karamé, il affirmait sa volonté de dialoguer avec celle-ci pour alléger sa tutelle. Au contraire, l'attentat a cimenté l'unité contre la présence syrienne, avec le soutien des États-Unis et de la France.

Si donc l'éventail des auteurs possibles de l'attentat est large, celui de ses commanditaires possibles l'est encore plus, et on peut les chercher y compris du côté d'Israël ou de services occidentaux qui voudraient mettre en difficulté le régime syrien, au moment justement où le président américain Bush pointe du doigt la Syrie et l'Iran et affiche son rapprochement avec la France sur les questions du Proche et du Moyen-Orient.

Si dans la période qui vient le Liban est déstabilisé, ce ne sera donc peut-être pas sans rapport avec la situation dans le reste du Moyen-Orient, ni sans rapport avec les desseins et les calculs des grandes puissances et en premier lieu des États-Unis, englués en Irak.

Des conflits latents laissés par l'impérialisme

Il faut rappeler que le Liban n'existe comme pays séparé de la Syrie que parce que la puissance coloniale française a cru bon, au lendemain de la Première Guerre mondiale, de diviser pour régner en créant deux pays là où il n'y en avait qu'un. En outre, le Liban lui-même était pourvu d'un régime multi-confessionnel assurant la prééminence de la bourgeoisie chrétienne, traditionnellement alliée de l'impérialisme français, sur les autres communautés sunnite, chiite et druze.

Le colonialisme français a ainsi jeté les bases de conflits possibles, d'abord entre le Liban et la Syrie, ensuite au sein même du Liban, entre les différents clans confessionnels se disputant le pouvoir.

Il faut rappeler aussi que les sources de l'actuelle présence syrienne au Liban remontent à l'année 1976. Alors qu'une guerre civile mettait aux prises la droite et l'extrême droite chrétiennes libanaises d'une part, le camp dit "palestino-progressiste" d'autre part, celui-ci était en passe de remporter la victoire. L'armée syrienne intervint alors à l'appel de la droite chrétienne pour protéger celle-ci et maintenir un certain équilibre des forces. La guerre se compliqua ensuite du fait des diverses interventions israéliennes, mais l'armée syrienne resta. Avec le soutien des autres États arabes, notamment de l'Arabie saoudite, et l'accord tacite ou ouvert des dirigeants occidentaux, la Syrie se montra la principale garante d'un certain statu quo et du maintien de l'équilibre traditionnel entre les diverses communautés.

La bourgeoisie chrétienne qui domine le pays n'en critique pas moins périodiquement la "tutelle" syrienne, et peut même trouver pour cela un soutien dans le reste de l'opinion, du fait du caractère militaire et policier du régime d'Assad et de sa présence au Liban. Cela ne l'empêche pas de savoir recourir à la protection de l'armée syrienne lorsqu'elle en a besoin.

Mais tout cet équilibre est fragile, alors que la situation économique du pays s'aggrave, la grande bourgeoisie chrétienne et sunnite étalant une richesse insolente face à la misère des masses populaires ou des centaines de milliers d'ouvriers syriens venus travailler au Liban, qui vivent dans des conditions misérables et sont souvent pris à partie comme s'ils étaient responsables des tares du régime d'Assad.

Au moment où non loin de là, en Irak, les affrontements prennent de plus en plus le caractère d'un conflit entre groupes chiites et groupes sunnites, les uns ayant le soutien de l'Iran et les autres de la Syrie, il ne faudrait donc peut-être que peu de choses pour que, au Liban, les conflits inter-confessionnels ne ressurgissent. C'est peut-être ce que certains cherchent sciemment à provoquer. C'est peut-être aussi ce que le pseudo-indépendantisme de la bourgeoisie libanaise contre la Syrie, appuyé par l'impérialisme américain et français, risque de rallumer.

Partager