Pérou : Un crime contre les femmes09/02/20052005Journal/medias/journalnumero/images/2005/02/une1906.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Dans le monde

Pérou : Un crime contre les femmes

Depuis 2001, l'ancien président du Pérou, Alberto Fujimori est réfugié au Japon. Les différentes tentatives de le faire extrader ont, pour le moment, toutes échoué. Il a régné sur le Pérou comme un véritable dictateur de 1990 à 2000, imposant au pays un véritable traitement de choc, à coups de privatisations à outrance. Ce qu'on a appelé le «Fujichoc» a plongé les plus pauvres dans une situation encore plus misérable. Des crimes de sang lui sont également reprochés, notamment l'assassinat de 24 civils, accusés sans aucune preuve d'être de la guérilla du Sentier Lumineux. Mais le plus grand crime de l'ancien président du Pérou est apparemment celui perpétré contre plus de 300000 femmes et 25000 hommes, à qui on a imposé une stérilisation forcée.

Ces femmes ont été victimes de ce que Fujimori appelait pompeusement un «programme de santé reproductive et de planification familiale», lancé en juillet 1995. «Les femmes péruviennes doivent être maîtresses de leur destin!», avait lancé le président. Il prétendait que les familles à bas revenus et à faible niveau d'éducation allaient avoir accès aux différentes méthodes de planification familiale, dont bénéficiaient les classes à hauts revenus.

Le projet reçut le soutien de l'Agence américaine pour le développement international (USaid) et du Fonds de population des Nations Unies (UNFPA). La fondation Sasakawa, un des clans de la mafia japonaise, amenait également ses yens. Fondée par un ancien criminel de guerre japonais entretenant des liens avec la secte Moon, la CIA et l'ex-président américain Jimmy Carter, elle protège toujours l'ancien président péruvien.

L'Église péruvienne, opposée à tout contrôle des naissances, montra immédiatement son hostilité à ce programme. En revanche, les organisations féministes y virent au départ un moyen de résister aux pressions réactionnaires de l'Église.

Mais ce que Fujimori avait en tête était tout autre chose qu'une campagne pédagogique pour faire comprendre aux populations les plus pauvres et les moins cultivées qu'il vaut mieux avoir moins d'enfants. Il décida de réduire la pauvreté en... réduisant le nombre des pauvres par la stérilisation forcée. Deux mois après avoir lancé son prétendu programme de santé, il y ajoutait un volet «stérilisation» qui allait prendre un caractère particulièrement abject.

Un congrès à sa botte lui vota une loi qui mettait sur le même plan la stérilisation et les autres moyens contraceptifs. Mais pour rendre la stérilisation plus attractive, il fut décrété qu'elle serait gratuite. Tous les ministères, en tête celui de la «Promotion de la femme», mais aussi l'armée et la police se lancèrent dans cette campagne. On organisa des «festivals de ligatures des trompes» (sic) dans les campagnes et dans les bidonvilles, qui prirent la forme de véritables fêtes. La famille «moderne» (avec peu d'enfants) était exaltée. Pour toute information, les femmes, en majorité indiennes, recevaient un texte en espagnol, illisible pour elles (elles étaient souvent analphabètes ou ne comprenaient qu'un dialecte indien, le quechua). À la fin de la journée de fêtes, les médecins, embauchés pour des campagnes de trois mois et n'ayant pas le droit de faire jouer une quelconque clause de conscience, avaient abattu leur besogne.

Dans les dispensaires locaux, on appâtait les candidates à la stérilisation par des distributions de nourriture, ce qui était irrésistible dans un pays où la pauvreté touche 44% des femmes, dont 18% sont dans une situation de pauvreté extrême. Pendant plusieurs mois, la campagne se poursuivit. L'Organisation mondiale de la santé (OMS) ne tarissait pas d'éloge sur les «succès» du Pérou dans le contrôle des naissances.

Ce n'est qu'au second trimestre de l'année 1996 que le scandale commença à transpirer. De 1996 à 1998, au plus fort de la campagne il n'y eut pas moins de 200000 ligatures des trompes. Puis la campagne fut mise en sourdine. Au total, de 1996 à 2000, 331600 femmes ont été stérilisées et 25590 hommes vasectomisés.

Après le départ de Fujimori, le nouveau ministre de la Santé, proche de l'Église, a lancé une enquête. Son rapport admet que «ces personnes ont été captées, soit à force de pressions, de chantages et de menaces, soit en se voyant offrir des aliments, sans qu'elles aient été dûment informées, ce qui les a empêchées de prendre leur décision en réelle connaissance de cause». Mais il a refusé de placer la liberté de choix des femmes au centre du problème. L'avortement reste interdit et passible de poursuites. C'est une situation à laquelle échappent les femmes des beaux quartiers qui peuvent payer un avortement réalisé par un médecin. En revanche, les femmes des quartiers pauvres prennent le risque d'en mourir.

Quant au fait que les principales victimes des campagnes de stérilisation furent des femmes pauvres et indiennes, cela n'intéressa pas les ministres. Non seulement, les femmes pauvres du Pérou n'ont pas accédé à un système de santé équivalent à celui des femmes riches, comme on leur avait promis, mais on leur reconnaît à peine le droit à la vie et le droit de la donner.

Partager