- Accueil
- Lutte ouvrière n°1906
- La querelle à la direction de la CGT... et les vrais enjeux pour le monde du travail
Leur société
La querelle à la direction de la CGT... et les vrais enjeux pour le monde du travail
Le Comité confédéral national (CCN) de la CGT, qui regroupe les dirigeants de ses différentes fédérations et de ses unions départementales, s'est prononcé à une forte majorité -81 voix contre 18 et 17 abstentions- pour une motion préconisant le rejet du projet de Constitution européenne, élaboré par Giscard et son équipe. Ce vote va à l'encontre des choix défendus et incarnés par son secrétaire général Bernard Thibault, qui préconisait que la direction de la CGT ne tranche pas et s'abstienne de donner une orientation de vote.
Du coup, Thibault a mis en cause de «graves carences en matière de démocratie interne». Il est sans doute bien placé pour savoir que ces «carences» existent, mais bien mal venu de découvrir cela précisément au lendemain d'un vote qui a mis sa position en minorité. Thibault argumente en invoquant le fait qu'il faut tenir compte des militants et des adhérents qui ont des convictions et des options politiques ou électorales différentes. C'est indéniable. Même si, par le passé, les dirigeants de la CGT n'hésitaient pas à sanctionner, voire à exclure, des militants en désaccord avec leurs choix politiques, ceux par exemple qui ne partageaient pas leur ralliement à l'Union de la Gauche. Mais de là à considérer qu'une direction syndicale n'a pas à donner son avis sur un problème comme celui de la Constitution européenne, il y a un pas.
Mais c'est ailleurs qu'il faut chercher les raisons du courroux de Thibault. Ce qui le dérange, c'est que ce vote va à l'encontre des choix qu'il a faits dans le cadre de la participation de la CGT à la Confédération européenne des syndicats et qui traduisent sa volonté, ouvertement affirmée, de s'aligner sur les autres confédérations syndicales qui assument, sans ambiguïté, leur orientation réformiste, de concertation, manière polie d'évoquer la collaboration avec le monde patronal. Or la Confédération européenne des syndicats a décidé, elle, d'afficher son choix en faveur du «oui» à la Constitution européenne. C'est en cela que le vote du CCN met Thibault et ses partisans dans l'embarras.
Il est bien difficile de démêler les raisons pour lesquelles une majorité s'est retrouvée pour mettre le secrétaire général de la CGT en minorité, et de discerner ce qui relève des sensibilités politiques différentes ou des heurts et des calculs d'ambitions. On peut cependant, sans risque de se tromper, affirmer qu'il ne peut s'agir des effets d'une pression de la base, encore moins de celle des salariés. À ce niveau de l'appareil, les hommes et les femmes qui composent cet organisme n'y sont guère sensibles. Cela s'est vérifié dans le passé bien des fois, quand la base manifestait sa volonté d'en découdre sérieusement avec le patronat ou le gouvernement, et que l'appareil de la CGT n'hésitait pas à freiner des quatre fers.
Le heurt au sein de la direction ne s'est pas fait non plus sur sa mollesse face aux attaques du Medef et du gouvernement contre le monde du travail. Il s'est exprimé sur une question annexe, concernant une consigne de vote dont le résultat, quel qu'il soit, n'aura aucune conséquence sur la situation subie par le monde du travail.
Nombre de militants cégétistes n'approuvent pas l'évolution de leur confédération qu'incarnent Thibault et son équipe. On les comprend, encore qu'il ne faudrait pas oublier que ce «recentrage» avait débuté bien avant l'accession de Thibault au secrétariat général. Mais ils auraient tort de croire que le désaveu que celui-ci vient de subir renforce les partisans d'une réorientation plus radicale de la CGT. Le fait de se ranger dans le camp des partisans du «non» n'est pas synonyme d'une telle radicalité. Pour ne prendre que parmi ceux qui se classent à gauche, Fabius n'est pas devenu tout d'un coup, à ce que l'on sache, un fervent partisan du combat des travailleurs contre les exploiteurs.
Il ne faudrait pas se tromper d'objectifs. Au lendemain des journées d'action qui ont traduit le fort mécontentement des salariés, journées dont la réussite peut et doit servir de tremplin à de nouvelles initiatives allant en s'amplifiant, laisser croire que la perspective prioritaire, primant toutes les autres, serait de militer au sein du monde du travail en faveur du «non» n'est pas le bon choix.
Le gouvernement Raffarin ne s'y trompe pas, lui. Il poursuit ses attaques sans faiblir et sans se sentir paralysé le moins du monde par la future échéance référendaire, dont il sait, quelle qu'en soit l'issue, qu'elle ne le fera pas dévier de ses choix. Le monde du travail et les militants ouvriers doivent y répondre comme il se doit.