La catastrophe naturelle révélatrice de la démence sociale06/01/20052005Journal/medias/journalnumero/images/2005/01/une1901.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Editorial

La catastrophe naturelle révélatrice de la démence sociale

Par le nombre des victimes et par l'ampleur des dégâts, le raz de marée en Asie du Sud-Est est l'une des plus graves catastrophes naturelles qui aient frappé la planète.

Contrairement à tant de catastrophes qui n'ont attiré l'attention des médias qu'un jour ou deux, cette fois-ci, les informations se succèdent. La rivalité entre les tour-opérateurs pour vendre du soleil et des palmiers en plein hiver avec de très bonnes marges bénéficiaires a fait que, parmi les 150000 victimes dénombrées jusqu'ici, plusieurs milliers viennent de pays européens.

L'ampleur de la catastrophe naturelle exigerait de la part de la collectivité humaine une réaction en conséquence. À en juger par les titres de la presse qui parlent de "mobilisation mondiale" et font état de "dons qui affluent de partout", ce serait le cas. Mais, au fil des témoignages qui parviennent des zones sinistrées, se révèle le caractère dérisoire de l'aide en face de l'ampleur de la catastrophe, mais aussi du fait de la pauvreté des régions touchées. Faute de routes, de moyens de communication, une partie des zones sinistrées, éloignée des paradis artificiels pour touristes, échappe même à tout recensement des victimes et des besoins. On entrevoit seulement qu'aux victimes directes du raz de marée risquent de s'ajouter dans les jours ou les semaines qui viennent d'autres qui mourront de soif, de faim ou d'absence de soins.

Il n'est certes pas facile de pallier, dans l'urgence, tout ce qui résulte du sous-développement, de l'absence d'hôpitaux, d'infrastructures et même simplement d'eau potable. La population pauvre des régions touchées en est victime en permanence, mais la catastrophe naturelle, en l'amplifiant, le révèle pour tous.

Les grandes puissances auraient les moyens d'y faire face. Seulement voilà: la générosité des populations masque la défaillance des États.

La principale puissance du monde, les États-Unis, a mis une semaine avant de réagir et d'envoyer quelques hélicoptères jeter depuis les airs quelques vivres dans les régions non desservies par des routes carrossables. Dix jours après la catastrophe, le montant total des aides promises -seulement promises!- par l'ensemble des États est de moins de 2 milliards de dollars. Les États-Unis ont déjà dépensé 225 milliards de dollars dans la guerre contre l'Irak!

L'invasion éclair de l'Irak a montré les moyens techniques extraordinaires que les grandes puissances étaient capables de déployer. Comparons donc les moyens fantastiques déployés pour tuer avec ce qui est mis en oeuvre pour sauver des vies humaines. Rien que dans ces chiffres se révèle toute la pourriture de l'organisation sociale actuelle. Elle se révèle encore dans le fait que même cette aide dérisoire est apportée sans coordination, en laissant des associations non gouvernementales se débrouiller comme elles peuvent. Certes, le chaos sur le terrain est en partie dû à l'incapacité des États locaux, dictatoriaux et corrompus, à faire face à ce type de problème. Mais il est dû plus encore à la rivalité entre gouvernements, plus soucieux de se faire valoir pour tirer un bénéfice politique que de venir en aide aux populations.

Il n'est pas nécessaire d'être communiste pour constater que l'humanité n'est capable de faire face aux grandes catastrophes humanitaires qu'en unissant ses forces, qu'en mettant tous les moyens disponibles à aider ceux que le malheur a frappés. Mais tous ceux, dirigeants d'États, politiciens, qui en font le constat n'évoquent que des solutions dérisoires, du genre "Samu international". Et même cela, ils ne font qu'en parler le temps que l'attention du public est attirée par la catastrophe. Et on peut parier que cela fera partie des choses promises et... oubliées par la suite.

Sur les quelque 5 millions de personnes privées d'abri, privées pour beaucoup même d'eau potable et de nourriture, combien mourront dans les jours, dans les semaines qui viennent? Elles mourront assassinées par un ordre social qui se révèle plus meurtrier encore que la nature au pire de ses déchaînements.

Arlette LAGUILLER

Éditorial des bulletins d'entreprise du 3 janvier 2005

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