Russie : Renationalisation et défenseurs de la propriété privée31/12/20042004Journal/medias/journalnumero/images/2004/12/une1900.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Dans le monde

Russie : Renationalisation et défenseurs de la propriété privée

Si Poutine a les oreilles qui sifflent, lui qui a vu le candidat à la présidence de l'Ukraine qu'il soutenait -et avait félicité pour son " élection "!- être défait par un challenger soutenu par les États-Unis, il a quand même quelques motifs de satisfaction. Le magnat Khodorkovski, propriétaire en titre, et en prison, du géant pétrolier russe Ioukos, privatisé durant l'ère Eltsine, vient de se voir dépouiller de son navire-amiral: la compagnie Iougansneftgaz.

Ce feuilleton politico-judiciaire, riche en rebondissements, n'a pas failli aux lois du genre. Le 19 décembre, malgré l'interdiction d'un tribunal des États-Unis volant à la rescousse d'actionnaires minoritaires et américains de Ioukos, Iougansneftgaz avait été mis aux enchères et adjugé en quelques minutes au seul enchérisseur: le groupe BaïkalFinans, inconnu au bataillon, mais capable d'aligner sans broncher 9,4 milliards de dollars.

Quatre jours ont suffi pour que le " mystère " se dissipe. Créé pour l'opération et ayant pour siège social... une épicerie de province, ce groupe est une société-écran. Des sociétés-écran, le monde en fourmille, avec cette particularité en Russie qu'elles servent aussi à masquer, derrière une raison sociale privée, la mainmise de pans entiers de la bureaucratie sur l'économie. Dans le cas présent, BaïkalFinansGroup a servi de relais à la seule compagnie pétrolière restée étatisée sous Eltsine, Rosneft. Celle-ci a, en rachetant BaïkalFinans la veille de Noël, récupéré de fait le premier groupe pétrolier du pays.

Rosneft est dirigé par un ancien du KGB, la police politique du régime précédent, à laquelle Poutine a appartenu et sur les membres de laquelle il s'appuie pour tenter de reprendre en main l'État et l'économie. Il devrait bientôt fusionner avec Gazprom, numéro un mondial du gaz et contrôlé par l'État russe, pour former un géant capable de rivaliser avec les compagnies américaines notamment. Dans sa traditionnelle conférence de presse de fin d'année, Poutine a déclaré cette opération " conforme aux intérêts de l'État russe, qu'avaient spoliés les privatisations " des années quatre-vingt-dix.

Revenant sur cette question dans son éditorial du 21décembre, le quotidien Le Monde a titré: " Le scandale Ioukos ". Ce quotidien veut bien admettre que " les milieux d'affaires occidentaux et certains chefs d'État (ferment) les yeux sur les atteintes aux droits de l'homme et les exactions en Tchétchénie de Vladimir Poutine (...) au motif, qu'au moins, il (parvient) à redresser l'économie ". Mais que Poutine " se moque des droits de propriété comme des droits de l'homme ", là est le " scandale " qui indigne ce journal.

Le Monde concède que " Ioukos fait partie de ces privatisations scandaleuses " et que c'est " avec l'assentiment de la population (que) Poutine veut revenir sur ces spoliations ". Mais il s'étrangle devant ce " pouvoir qui veut mettre au pas le pouvoir économique russe et étranger " par " la force et le mépris du droit ", de propriété bien sûr.

Que Poutine piétine les droits des Tchétchènes, et plus largement de la population de la Fédération de Russie, passe encore, mais pas ceux des actionnaires! C'est sans doute à de tels principes -que le porte-parole de la Maison-Blanche vient également de rappeler- que, des deux côtés de l'Atlantique, on reconnaît les tenants de la " démocratie de marché ".

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