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Leur société
Hébergements d'urgence : Grand froid et gros baratin
La misère a amené de nombreuses personnes à vivre dans la rue. Cette situation, inacceptable toute l'année, devient dramatique en hiver. Un " plan hiver " mis en oeuvre par l'État, et surtout par les associations, propose des places, provisoirement, en cas de grand froid. Il prévoit notamment des niveaux d'intervention en fonction de la température: le niveau1 pour toute la période hivernale, le niveau2 (grand froid) si la température descend en dessous de -5° la nuit, et le niveau3 (froid extrême) à partir de -10°. À chaque niveau correspondent théoriquement des places supplémentaires débloquées dans des lieux d'hébergement, voire dans des gymnases ou des stations de métro -huit mille places au total pour toute la France cet hiver. Un numéro de téléphone, le 115, renvoyant sur une répartition départementale des places disponibles, fonctionne toute l'année et voit ses effectifs renforcés -un peu- dans cette période. Enfin, la télévision l'a abondamment montré en ce début d'hiver, des équipes mobiles vont à la rencontre des sans-domicile pour les inviter à rejoindre les structures d'accueil.
Officiellement, et en particulier dans les médias, c'est donc la mobilisation hivernale pour sauver les personnes en difficulté. Mais dans la réalité, il semble que cette mobilisation soit faite a minima. Notre société, qui met à la rue et pratiquement sans ressources des dizaines de milliers de ses membres, se préoccupe seulement qu'ils n'y meurent pas de faim ou de froid (ce qui arrive cependant régulièrement).
Un rapport officiel, intitulé " L'hébergement d'urgence: un devoir d'assistance à personnes en danger ", publié par le Haut comité pour le logement des personnes défavorisées, présidé par Xavier Emmanuelli, ancien ministre, et composé entre autres de personnalités du monde associatif comme Emmaüs ou les Restos du coeur, montre bien les limites du dispositif. Les chiffres qu'il cite, à propos du fonctionnement du 115 en particulier, sont édifiants. Près de 50% des appels à ce numéro n'aboutissent tout simplement pas, 40% parviennent... à un répondeur et les 10% restants sont " traités ", c'est-à-dire qu'un contact direct a lieu. Mais dans la moitié de ces cas, la réponse est une fin de non-recevoir: il n'y a pas d'hébergement disponible. Si bien que dans la majorité des cas le conseil martelé par les médias quand le thermomètre descend, d'appeler le 115 quand on voit quelqu'un qui dort dehors, est hélas largement illusoire et la plupart du temps inefficace.
En cette période, les structures d'hébergement sont pleines et les places qui se libèrent sont attendues et occupées aussitôt, sauf dans les structures où l'hébergement est limité à une seule nuit, et dans lesquelles il faut se réinscrire chaque jour, parfois en repassant par le 115! Dans ce cas, les personnes sans domicile sont ballottées d'un lieu à un autre et les plus malchanceux restent dehors.
Les places dans les vraies structures d'hébergement étant largement insuffisantes, le " plan hiver " prévoit d'ouvrir d'autres lieux, mal adaptés, voire inhumains, si bien que certains sans-domicile préfèrent rester dehors plutôt que d'y aller. La télévision a montré à l'envi de tels cas, une façon de dédouaner les pouvoirs publics, au cas où un SDF trouverait la mort par une nuit de grand froid. Dans de telles situations d'ailleurs, on demande par exemple aux structures d'accueil de jour de rester ouvertes la nuit, pour que les gens puissent y dormir... par terre.
Dans une des sociétés les plus riches de la planète, il est évidemment scandaleux de ne pas consacrer les moyens nécessaires pour héberger correctement, dans des lieux à visage et dimensions humains, et pour le temps nécessaire, la totalité des personnes qui vivent dans la rue. Le rapport évalue par exemple à 31000 les utilisateurs du 115 sur Paris. Serait-il si difficile de prévoir un hébergement honorable pour cette population? Il semble en tout cas que dans la société actuelle, ce ne soit pas une priorité.