Il y a soixante ans, le 1er décembre 1944 : Le massacre du camp de Thiaroye23/12/20042004Journal/medias/journalnumero/images/2004/12/une1899.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

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Il y a soixante ans, le 1er décembre 1944 : Le massacre du camp de Thiaroye

Le 9 novembre dernier, l'armée française tirait sur les manifestants devant l'hôtel Ivoire d'Abidjan, en Côte-d'Ivoire, et faisait officiellement une dizaine de morts. Soixante ans auparavant, presque jour pour jour, le 1er décembre 1944, l'armée française tirait et massacrait d'autres manifestants africains, combattants de la Seconde Guerre mondiale, parce qu'ils avaient osé protester contre leur sort. Les années passent mais le comportement de l'impérialisme français à l'égard des peuples qu'il a colonisés est toujours aussi méprisant et criminel.

La Seconde Guerre mondiale n'était pas encore terminée lorsque le gouvernement provisoire de De Gaulle, reconnu officiellement depuis octobre 1944, renvoya chez eux les bataillons de «tirailleurs sénégalais», dont de nombreux soldats qui avaient été prisonniers dans les camps de concentration nazis. Comme lors de la Première Guerre mondiale, il s'agissait de troupes recrutées (enrôlées de force, plus exactement) dans les colonies françaises d'Afrique noire: au Sénégal mais aussi au Cameroun, en Côte-d'Ivoire, au Tchad, au Soudan, au Niger, etc.

De retour au Sénégal, plus d'un millier de ces soldats furent entassés dans le camp de Thiaroye, dans la banlieue de Dakar, pour attendre leur démobilisation. Parqués dans des conditions particulièrement lamentables, ils furent désarmés, leurs uniformes remplacés par un accoutrement humiliant, mal nourris et mal traités. Et surtout, les indemnités de démobilisation et autres primes de guerre, données aux Blancs sans délai, se firent attendre avant d'être versées très partiellement. Poussés à bout, ces hommes, qui avaient combattu durement sur plusieurs fronts, en Europe et en Afrique du Nord, pour la «libération» d'un pays qui n'était pas le leur, qui n'avaient aucune raison d'accepter un traitement différent de celui des soldats blancs, aux côtés desquels ils avaient subi la guerre, finirent par se révolter.

Le 30 novembre 1944, ils prirent donc en otage le général français responsable du camp et ne le libérèrent qu'après avoir obtenu la promesse que leurs revendications seraient satisfaites. Mais la nuit même de sa libération, les blindés français donnèrent l'assaut aux tirailleurs désarmés, faisant une trentaine de morts et autant de blessés, bien qu'il n'y ait jamais eu de reconnaissance officielle du nombre de victimes. Le camp fut entièrement détruit mais auparavant, les morts furent enterrés à la hâte par les survivants. Un certain nombre d'entre eux purent enfin rentrer dans leurs villages, sans avoir touché aucune des sommes promises. Mais la majeure partie des survivants furent condamnés pour «insubordination», à des peines de deux à trois ans de prison ferme, peines qui ne furent amnistiées qu'en avril 1947, lors d'une tournée dans les colonies françaises d'Afrique occidentale du président de la République Vincent Auriol.

Pendant de longues années, ces faits furent totalement occultés par l'armée et l'administration coloniales qui exerçaient une certaine terreur contre tous ceux qui les évoquaient. Même au Sénégal, la population n'en eut que très peu connaissance. Il fallut une dénonciation de Senghor et de Lamine Gueye, dirigeants politiques sénégalais, pour que les faits soient plus connus, avant d'être enfin reconnus par l'armée et le gouvernement français. En 1988, un film de Sembene Ousmane a relaté cette page sanglante du colonialisme. Enfin en août dernier, un ex-ministre français, Pierre-André Wiltzer, s'exprimant au nom de Chirac, a qualifié le massacre de Thiaroye de «tragique et choquant et qui salit l'image de la France». C'était peu de temps avant cet autre massacre, de civils cette fois-ci, devant l'hôtel Ivoire en Côte-d'Ivoire.

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