Il y a 20 ans, à Bhopal, en Inde : L'usine de l'Union Carbide décimait la ville09/12/20042004Journal/medias/journalnumero/images/2004/12/une1897.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Dans le monde

Il y a 20 ans, à Bhopal, en Inde : L'usine de l'Union Carbide décimait la ville

Dans la nuit du 3 décembre 1983, l'usine chimique du trust américain Union Carbide, à Bhopal, en Inde, explosait. Une des plus grandes catastrophes industrielles de l'histoire venait de se produire, libérant un nuage d'isocyanate de méthyle, de cyanure et de phosgène -ce dernier ayant déjà prouvé ses capacités meurtrières en tant que gaz de combat- qui enveloppait plusieurs quartiers de cette ville de 900000 habitants.

Entre trois et dix mille personnes moururent immédiatement ou dans les jours qui suivirent -on en ignore le nombre exact car, d'une part, l'un des quartiers jouxtant l'usine était un bidonville et d'autre part, dans la panique qui suivit, les bûchers funéraires pour éviter les épidémies furent nombreux.

Vingt ans après, 150000 personnes souffrent encore des séquelles de l'explosion. La nappe phréatique, dont l'eau est utilisée pour alimenter la ville, est toujours polluée et les ruines et déchets de l'usine, laissés sur place, empoisonnent lentement le sol.

Cette catastrophe était prévisible dès l'ouverture de l'usine, en 1980. Union Carbide avait construit en Inde une usine au rabais, pour y fabriquer et y écouler un insecticide appelé le Sevin. Les installations de contrôle du stockage du gaz nécessaire à la fabrication de l'insecticide, gaz extrêmement dangereux à manipuler et à stocker, ressemblaient aux installations des années quarante et cinquante aux États-Unis. C'est dire qu'elles ne répondaient plus aux normes imposées dans ce pays, ce qui était d'ailleurs une des principales raisons incitant Union Carbide à délocaliser cette fabrication en Inde. Il avait été prévu d'amortir le coût de l'usine en trois ans. Il n'y avait aucun plan d'urgence en cas d'accident, ni conseils et matériel de protection. Dès 1981, un ouvrier était mort; en 1982, vingt-cinq avaient été intoxiqués. La même année, une équipe d'inspecteurs américains relevait une centaine de manquements aux règles de sécurité. De plus, la vente de Sevin n'étant pas à la hauteur des espérances de l'Union Carbide, le trust avait réduit peu à peu ses investissements à Bhopal et le nombre d'employés de l'usine, laissant se dégrader les installations. La nuit de la catastrophe, aucun système de réfrigération ne fonctionnait correctement, les alarmes sonores de température étaient débranchées, les tours de décontamination et la torchère d'incinération étaient en partie démontées.

Depuis décembre 1984, Union Carbide ne s'est mobilisé que pour échapper à ses responsabilités. Troisième trust mondial de l'industrie chimique, il a su trouver 3,3 milliards de dollars pour se défendre d'une prise de contrôle par un concurrent, mais il a refusé les trois milliards de dollars d'indemnités demandés par les victimes. Ce n'est qu'en 1989 que le trust a finalement accepté de verser 470 millions de dollars, somme minime et en grande partie absorbée par les intermédiaires et la corruption, dont les victimes n'ont guère vu la couleur.

Aujourd'hui, c'est une sinistre plaisanterie que de qualifier la catastrophe de Bhopal d'accident, tant elle était annoncée. Les responsables du trust chimique ne pouvaient ignorer que leur usine, en Inde, était une bombe dont on ignorait, et c'était la seule inconnue, la date d'explosion. Ils ne pouvaient non plus ignorer qu'elle ferait des dizaines de milliers de victimes, vu sa localisation. Le crime et la préméditation sont patents. Mais cela n'empêche pas les dirigeants de l'époque et les actionnaires de Dow Chemical, qui ont racheté Union Carbide en 1999 -et qui refusent d'assumer les responsabilités d'Union Carbide-, de couler des jours sans nuage sur des matelas de dollars, amassés en partie à Bhopal.

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