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Leur société
Il y a trente ans : Les femmes obtenaient le droit à l'avortement
Le 29 novembre 1974, la loi autorisant l'interruption volontaire de grossesse était votée à l'Assemblée nationale. C'était après trois jours de débats où fusèrent les insultes les plus abjectes et les plus grossières de mâles députés à l'encontre de toutes les femmes et en particulier de Simone Veil, ministre de la Santé de l'époque, qui présentait le projet de loi.
Des députés de droite annonçaient la venue du règne de la luxure et de la lubricité, d'autres agitaient le spectre "des avortoirs, ces abattoirs où s'entassent les cadavres de petits hommes". Quant à Chirac, chef du gouvernement, s'il ne mit pas alors des bâtons dans les roues de sa ministre, il n'en avait pas moins déclaré auparavant que l'avortement était "une affaire de bonnes femmes qu'elles avaient toujours su régler entre elles". Simone Veil, s'entendit même demander si elle accepterait de "brûler les embryons dans des fours crématoires", elle qui, parce que Juive, avait connu l'horreur des camps de concentration nazis.
Avant cette loi, c'était l'hypocrisie la plus complète et l'injustice sociale la plus criante qui régnaient.
L'avortement tombait encore sous le coup de la loi de 1920 qui punissait de peines de prison et de lourdes amendes celle qui avortait et celui ou celle qui l'y aidait. Il n'empêche, chaque année, des centaines de milliers de femmes avortaient clandestinement, on avançait même alors le chiffre du million de femmes! Si quelques-unes pouvaient s'offrir l'aide de médecins, souvent contre des honoraires exorbitants, si d'autres pouvaient se payer le voyage en Angleterre ou en Hollande où l'avortement était autorisé, l'immense majorité des femmes avortait dans des conditions lamentables. Avec tout ce qui pouvait servir de sonde, il leur fallait se débrouiller pour déclencher l'avortement. Puis, quand l'hémorragie survenait, il leur fallait subir, à l'hôpital, le curetage réalisé parfois sans anesthésie pour les "faire payer", cette fois-ci moralement. Trois cents femmes mouraient chaque année des suites d'avortement. Et ce n'est là que le chiffre officiel.
Si la loi Veil, la loi permettant aux femmes de mettre fin à une grossesse non désirée sous contrôle médical, fut votée en 1974, ce n'est pas par bonté d'âme du Président Giscard d'Estaing ou de son Premier ministre Chirac. C'est parce que depuis des années, surtout depuis Mai1968, des centaines de milliers de femmes se battaient pour l'abrogation de la loi de 1920 et pour l'avortement libre et gratuit avec des associations telles "Choisir" et le MLAC (mouvement pour la liberté de l'avortement et de la contraception).
En 1971, 343 femmes célèbres, des actrices, des intellectuelles, des femmes politiques signaient un manifeste dans lequel elles déclaraient: "Un million de femmes se font avorter chaque année en France. (...) Je déclare que je suis l'une d'elles. Je déclare avoir avorté. De même que nous réclamons le libre accès aux moyens anticonceptionnels, nous réclamons l'avortement libre". Ce fut une véritable gifle contre les autorités hypocrites qui n'osèrent pas les poursuivre. De fait, la loi devenait caduque.
Puis le 8 octobre 1972, s'ouvrait à Bobigny le procès de Marie-Claire, 17 ans qui avait avorté et de sa mère qui l'avait aidée. Elles étaient défendues par Gisèle Halimi. À la barre, défilèrent des actrices, des personnalités qui déclarèrent avoir fait de même. Et le professeur Milliez, médecin catholique et a priori contre l'avortement, déclarait que dans un cas de ce genre, "il n'y avait pas d'autre issue honnête". Marie-Claire fut relaxée.
Puis, en février 1973, il y eut le manifeste des 331 médecins qui, affirmant avoir pratiqué des avortements, défièrent la loi. Enfin, le MLAC et le planing familial, bravant eux-aussi la loi, installèrent des centres dans lesquels, avec des médecins, ils pratiquèrent des avortements.
Telle était la situation quand, en mai 1974, Giscard d'Estaing fut élu. Le mouvement était tel que les autorités n'avaient plus grand choix. Quelques mois plus tard, Simone Veil, sa ministre de la Santé, défendait le projet de loi pour l'abolition de la loi de 1920 et la libéralisation de l'avortement.