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Toussaint 1954 : Le début de la guerre d’Algérie
Dans la nuit du 31 octobre au 1er novembre 1954, une série d'attaques et d'attentats se déroulèrent sur plusieurs points du territoire algérien. Le Front de Libération Nationale, le FLN, nouvellement constitué à partir de militants issus d'autres organisations nationalistes, apparaissait pour la première fois sur le terrain.
Les autorités françaises répondirent par des centaines d'arrestations en Algérie et en métropole. Le chef du gouvernement, Mendès-France, déclara: «Qu'on n'attende de nous aucun ménagement à l'égard de la sédition, aucun compromis avec elle. On ne transige pas lorsqu'il s'agit de défendre la paix intérieure de la nation et l'intégrité de la République.» Quant à son ministre de l'Intérieur, Mitterrand, il affirma de son côté: «L'Algérie, c'est la France et la France ne reconnaîtra pas chez elle d'autre autorité que la sienne.»
Ainsi commença cette guerre d'Algérie, que l'on refusa pendant des années d'appeler ainsi. On se contentait dans la presse de parler pudiquement des «événements» d'Algérie, ou d'opérations de «maintien de l'ordre».
L'oppression coloniale du peuple algérien
La conquête de l'Algérie commença en 1830. Mais il fallut à l'armée française des dizaines d'années pour venir à bout de la résistance des Algériens, et la domination française ne fut «définitivement» établie (pour quatre-vingts ans!) qu'après l'écrasement de l'insurrection kabyle de 1870. Les opérations menées par l'armée française avaient été d'une telle sauvagerie qu'en quelques décennies l'Algérie avait perdu le tiers de sa population.
Dans les campagnes, des milliers d'hectares, les terres agricoles les plus riches, avaient été confisqués et distribués à des colons européens.
La population algérienne devint une population de deuxième zone, qui eut à subir le mépris d'un ordre colonial tout-puissant. L'Algérie était officiellement composée de trois départements français, mais les Algériens n'étaient pas des citoyens, mais des sujets de la France. Dans le but de diviser pour régner, le décret Crémieux donna en 1870 la nationalité française, qui était refusée aux musulmans, aux Juifs algériens. De la même manière, les colons venus d'Espagne ou d'Italie furent considérés comme citoyens français... Dans les villes, la situation de la population algérienne ne fut pas meilleure.
En 1954, après 124 ans de domination coloniale, la prétendue oeuvre civilisatrice de la France n'avait guère profité à la population algérienne. Au contraire, on comptait peu d'équipements sanitaires, des écoles en nombre dérisoire, d'où un degré d'alphabétisation faible. Et tout était à l'avenant.
Le nationalisme algérien et le mouvement ouvrier français
Au lendemain de la Révolution russe, parmi ceux qui contestaient la domination impérialiste, beaucoup voyaient en la jeune Union soviétique le champion de l'anticolonialisme et du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes. C'est ainsi que naquit en 1926 l'Etoile Nord-africaine, fondée par Messali Hadj, liée dans les premières années au Parti Communiste Français.
Mais en 1935, après la signature du pacte Laval-Staline, le PCF se rallia à la défense nationale... et à celle de l'Empire colonial français. Le Parti Communiste Algérien prit la même orientation et déclarait: «C'est faire le jeu du fascisme international que de se livrer à des provocations en réclamant l'indépendance.»
Cela ne pouvait que contribuer à rejeter vers le nationalisme ceux des Algériens qui voulaient lutter contre la domination coloniale.
Le gouvernement de Front Populaire ne changea rien à la situation coloniale de l'Algérie. Ce qu'il fit de plus hardi consista à envisager de donner le droit de vote à 21000 musulmans (projet Blum-Viollette). Mais, devant l'opposition des représentants des colons, il n'osa même pas présenter ce projet au Parlement.
En 1945, les événements de Sétif et de Guelma furent le prologue de la guerre d'Algérie. Lors des manifestations marquant la fin de la guerre, l'intervention de la police pour s'emparer de drapeaux algériens déclencha des émeutes qui auraient fait 21 morts parmi les Européens. La répression fit de 10000 à 50000 victimes algériennes. Le PCF, au gouvernement, ne protesta pas. L'Humanité, sous le titre «À Sétif, attentat fasciste le jour de la victoire», écrivait: «Des éléments troubles d'inspiration hitlérienne se sont livrés à Sétif à une agression armée contre la population qui fêtait la capitulation hitlérienne. La police, aidée de l'armée, maintient l'ordre.»
En 1947 fut créée une Assemblée algérienne, destinée à discuter exclusivement des problèmes des départements algériens. Mais elle était élue en deux collèges électoraux séparés, de 60 membres chacun, l'un pour la population d'origine européenne, et l'autre pour la population algérienne. Les 60 représentants du premier collège, celui des citoyens français dits «de plein droit», représentaient 922000 personnes; le second, élu par la population algérienne, 7860000. En outre, l'Assemblée ne pouvait prendre des décisions qu'à la majorité des deux tiers!
La radicalisation du mouvement nationaliste
Les événements de Sétif de 1945 avaient accéléré la radicalisation du mouvement nationaliste. Cette année-là, le parti de Messali Hadj qui avait pris la suite de l'Étoile Nord-Africaine, le Parti du Peuple Algérien, fut dissout. Il se reconstitua sous le nom de MTLD, le Mouvement pour le Triomphe des Libertés Démocratiques. Fin 1947, il obtint 33% des sièges aux élections municipales; à la suite de quoi le gouverneur général de l'Algérie, le socialiste Naegelen, organisa le truquage des élections de 1948 pour l'Assemblée algérienne.
Lors de la manifestation traditionnelle du 14 juillet 1953, à Paris, la police réprima brutalement le cortège du MTLD. Il y eut six morts et des dizaines de blessés. L'année suivante, le FLN était créé par des militants du MTLD qui reprochaient à Messali Hadj son attentisme.
La sale guerre d'Algérie
Le colonialisme français venait de connaître une défaite majeure dans ce qu'on appelait alors «l'Indochine». En juillet, à Genève, le gouvernement Mendès-France avait été contraint, après sept années de guerre, de reconnaître l'indépendance du Nord-Vietnam. La démonstration venait d'être faite qu'il était possible d'imposer à la France coloniale la reconnaissance de l'indépendance.
Dans les années qui suivirent la Toussaint 1954, l'intervention militaire française s'amplifia et l'usage de la torture et des méthodes les plus brutales (déportations de population, bombardements de villages) se généralisèrent. Au gouvernement, les dirigeants socialistes, et Mitterrand qui n'avait pas encore rallié le PS, se firent de 1954 à 1958 les défenseurs zélés de l'Algérie française, couvrant de leur autorité les tortionnaires à la Aussaresses, jusqu'au moment où ils passèrent la main à De Gaulle, qui allait continuer la sale guerre jusqu'en 1962.
Mais, dans la lutte qui se déroulait en Algérie, les dirigeants du FLN n'avaient pas que l'indépendance comme préoccupation. Leur politique visait aussi à préparer la naissance d'un État échappant à tout contrôle des masses algériennes elles-mêmes.
Non seulement la pratique des attentats aveugles, visant des lieux fréquentés par les Européens, ne pouvait que rejeter encore plus ceux-ci du côté de l'extrême droite, qui avait fait du maintien de «l'Algérie française» son cheval de bataille, mais elle imposait au FLN, y compris dans les villes, des structures militaires qui rendaient impossible le contrôle des militants sur leur organisation. La lutte impitoyable qu'ils livrèrent aux partisans de Messali Hadj, malgré le ralliement de celui-ci à la lutte armée, l'obligation imposée au Parti Communiste Algérien de se dissoudre dans les rangs du FLN s'il ne voulait pas connaître le même sort, auguraient mal du régime que celui-ci mettrait en place après l'indépendance.
D'ailleurs, tout au long de la guerre, la direction du FLN prêta beaucoup d'attention à l'organisation de l'armée des frontières (en Tunisie et au Maroc), qui ne joua pratiquement aucun rôle militaire, mais qui s'avéra pour Boumédienne (par Ben Bella interposé d'abord, puis directement pour lui-même) l'instrument de la prise du pouvoir et de la mise en place d'un régime dictatorial qui n'était certainement pas celui dont rêvaient la majorité des combattants algériens.
Et si la guerre d'Algérie a pris fin il y a quarante-deux ans, le peuple algérien n'a pas fini d'en subir les conséquences. Car, dans la misère dans laquelle vivent toujours les masses populaires, la corruption du régime, les massacres commis par les islamistes, la bourgeoisie française et ses hommes politiques de droite ou de gauche ne sont pas innocents. Ce sont dans une large mesure les graines semées par eux qui continuent à donner des fruits vénéneux.