Polynésie : Querelles politiciennes sur fond de misère économique et sociale13/10/20042004Journal/medias/journalnumero/images/2004/10/une1889.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Leur société

Polynésie : Querelles politiciennes sur fond de misère économique et sociale

Le gouvernement de la Polynésie française dirigé par Oscar Temaru a été renversé après le vote d'une motion de censure à une voix de majorité, samedi 9 octobre. Oscar Temaru, chef d'une formation indépendantiste, avait remplacé en mai dernier Gaston Flosse, membre de l'UMP, au pouvoir depuis vingt ans.

La Polynésie, ancien territoire d'outre-mer, est devenue, à la suite d'une loi récente, entrée en vigueur en 2004, un "pays d'outre-mer": ses 250000 habitants ont un statut "d'autonomie renforcée"; ils élisent une assemblée de 57 représentants qui, à leur tour, nomment un président de l'assemblée et élisent un "président du pays". C'est ce dernier poste qu'avait remporté Oscar Temaru, également à une voix de majorité, et qu'il vient de perdre aujourd'hui.

Les indépendantistes crient à la manipulation, et aux manoeuvres des chiraquiens qui auraient réussi à débaucher un de leurs anciens partisans; ils réclament la dissolution de l'assemblée et de nouvelles élections en espérant que la majorité en leur faveur sera plus nette. Ils font remarquer que leur défaite vient à point pour Gaston Flosse, juste au moment où Temaru avait demandé un audit sur les dépenses de son prédécesseur.

Gaston Flosse, lui, se propose devant l'assemblée comme candidat à la présidence du pays.

La ministre de l'Outre-mer, Brigitte Girardin, a refusé une dissolution qui, selon elle, n'a pas lieu d'être puisqu'il n'y a pas de blocage des institutions; elle a déclaré également dans une interview qu'elle n'avait évidemment pas sauté de joie en apprenant, en juin, que le président du pays était indépendantiste. Mais il n'y aurait pas de raison, dit-elle, de soupçonner des pressions quelles qu'elles soient car la motion de censure est une procédure tout à fait régulière.

Toutes ces polémiques politiciennes tournent autour d'un pouvoir qui est davantage une source de postes ou de petits privilèges qu'un organe de décision réel et d'une "autonomie renforcée" qui ne permet en aucun cas à la population de contrôler quoi que ce soit.

Mais ces querelles se déroulent aussi sur fond d'une dégradation économique et sociale dont chaque parti rejette la responsabilité sur son adversaire. Ils se sont tout de même retrouvés pour, ensemble, appeler au calme. Et deux escadrons de gendarmes mobiles doivent arriver en renfort des deux escadrons déjà présents en permanence sur le territoire.

On reconnaît bien là le rôle essentiel du gouvernement français. Car, autonomie ou pas, la présence de la France dans ses anciennes colonies, c'est un peu la carotte, sous forme de subventions qui enrichissent essentiellement les copains et clients des gens en place, et plus souvent le bâton pour la population.

Sylvie MARÉCHAL

Tahiti et la Polynésie en général sont peut-être des paradis pour touristes mais la présence française n'a jamais été une bénédiction pour les habitants.

Les Polynésiens connurent d'abord le protectorat, imposé manu militari par la France en 1842, sous prétexte de venir au secours des missionnaires jésuites, que la reine tahitienne Pomaré avait expulsés; puis ils connurent le statut de colonie et enfin celui de territoire d'outre-mer en 1946, avant d'en arriver à celui de pays d'outre-mer.

Les colons français ont d'abord accaparé les terres pour y faire produire, non des cultures vivrières, mais des produits destinés à l'exportation, comme la vanille et le coprah. Puis on y exploita le phosphate à Makatéa, une île peu peuplée, où le transfert de main-d'oeuvre contribua à déraciner la population pour les profits d'une entreprise de 2000 salariés qui ferma ses portes en 1966, à l'épuisement du gisement.

Et à partir de 1963, le gouvernement acheva le développement de cette économie totalement artificielle en transformant certains atolls en centres d'expérimentation nucléaire. Dans les années 1960, le quart de la population active travaillait pour l'armée, de façon directe ou indirecte, dans le bâtiment ou l'équipement. Les productions locales ont décliné et l'exode rural s'est accéléré. Puis les expérimentations se sont arrêtées définitivement en 1996, laissant derrière elles des hommes et une nature contaminés et un surcroît de chômage.

Faute de production agricole, 75% de l'alimentation est importée; la vie est chère, l'emploi rare: il y a environ 20% de chômeurs dont beaucoup s'entassent dans des bidonvilles autour de Papeete et le quart de la population vit en dessous du seuil de pauvreté.

De temps en temps, des grèves ou des émeutes révèlent la profondeur du mécontentement: ce fut le cas en 1987 lors d'une grève des dockers mais aussi en 1991, 1993 et en septembre 1995 où des émeutes entraînèrent même la destruction d'une partie de l'aéroport et de magasins du centre-ville, à Papeete également.

En face d'eux, on trouve les privilégiés locaux, patrons et politiciens, bénéficiaires de subventions en tous genres, avec, de temps en temps, un petit dérapage vers les scandales politico-financiers comme ce fut le cas pour Gaston Flosse lui-même. Bref, un monde, très éloigné, pour sa population, du paradis qu'on nous présente souvent.

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