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Tribune de la minorité
Perrier : Les renoncements de Thibault
En voulant "contourner l'influence de la CGT", la direction de Perrier "a échoué", explique Bernard Thibault dans les colonnes de L'Humanité du 4 octobre. "Notre attitude a contraint la direction de l'entreprise à s'engager sur des investissements et à revoir le niveau d'embauche pour compenser partiellement les départs". Façon de faire de pauvreté vertu et d'un recul une subtile tactique.
Car la direction de Nestlé Waters France, qui possède Perrier, Vittel et Contrex, a malheureusement bel et bien réussi son chantage à la mise en vente des usines, voire à la fermeture totale de celle des eaux Perrier à Vergèze, dans le Gard. Elle a fini par obtenir ce qu'elle voulait: l'acceptation ou la résignation des syndicats à son plan de suppressions d'emplois: 1047 départs en préretraite, sur les 4100 salariés du groupe pour seulement 276 embauches promises. Les salariés restants n'ont aucune garantie sur la suite: une partie des activités sera sous-traitée, quant aux investissements promis par Nestlé, notamment pour moderniser le site de Vergèze, ils sont, explique la direction, conditionnés par "l'amélioration des performances et de la compétitivité industrielle" que devrait permettre la réduction d'effectifs prévue. De nouveaux chantages en perspective pour exiger des ouvriers restants l'accroissement du rendement.
Les syndicats CFDT et CGC s'étaient empressés de céder, en donnant dès juillet leur accord au plan de la direction. Mais la CGT avait refusé de jouer le jeu. Syndicat majoritaire, elle faisait usage de son "droit d'opposition" pour bloquer la mise en application de l'accord signé entre la direction et les autres syndicats. Nestlé a alors multiplié les pressions sur elle et continué à menacer de fermeture, tablant, avec l'appui des organisations syndicales signataires, sur les craintes d'une partie des salariés de tout perdre et l'espoir, pour ceux qui en avaient l'âge, de pouvoir partir en préretraite avant qu'il ne soit trop tard.
Lorsque Bernard Thibault a fait sa rentrée sociale à Arles, le 13 septembre dans l'entreprise Lustucru occupée, les syndicalistes CGT des autres entreprises de la région menacées de plans de licenciements, Nestlé à Marseille, Thé l'Éléphant en banlieue marseillaise et bien entendu Perrier, s'étaient déplacés. "Sur un ton plus ou moins dur", écrit Le Monde, "les délégations présentes demandaient toutes à Bernard Thibault la préparation de luttes interprofessionnelles". En guise de réponse, le secrétaire de la CGT s'est contenté d'évoquer les inquiétudes des salariés, les difficultés de mobilisation, promettant de consulter les militants.
Mais ce n'est pas vers la lutte que la direction confédérale s'est orientée: elle n'a pas fait de la riposte contre le chantage à l'emploi brandi par Nestlé pour imposer ses licenciements, après Bosch et Doux pour imposer l'augmentation des horaires, un objectif de mobilisation pour l'ensemble de la CGT. Certes, les mobilisations sociales ne sont pas faciles. (La politique des directions syndicales, notamment face aux attaques contre les retraites et la Sécurité sociale, n'est pas pour rien dans une certaine démoralisation de la classe ouvrière et d'une partie de ses militants). Mais ce n'est pas une raison.
C'est du côté de Bercy, par-dessus la tête des militants de Perrier, et même contre les dirigeants de la Fédération CGT de l'Agroalimentaire, selon Le Monde, que Thibault a cherché une issue à la crise, en réalité la reddition de la CGT. Cela s'est négocié entre lui, la direction de Nestlé Waters France et le ministre des finances et de l'industrie Sarkozy, qui s'est fait le malin plaisir de jouer l'arbitre.
À peine la CGT avait-elle annoncé, le 27 septembre, qu'elle allait retirer son veto, que la direction de Nestlé montait les enchères. Ce n'était pas suffisant, il fallait que la CGT signe le plan. Les gros yeux de Sarkozy à la direction de Nestlé ont suffit à faire rentrer les choses dans l'ordre. Dans l'ordre patronal. Car Nestlé ne s'engage à rien.
Mais explique Thibault, le conflit Perrier "a eu le mérite de révéler au grand jour l'inefficacité des règles de la négociation sociale. Dès lors que le législateur a conçu le dialogue autour du droit de s'opposer et non autour du droit de négocier".
Le droit d'opposition des organisations syndicales majoritaires, instauré par la loi Fillon du 4 mai 2004 (Loi sur la formation professionnelle et le dialogue social), n'existait pas sous le gouvernement Jospin. Ce qui avait bien arrangé patronat et gouvernement pour l'application de la loi Aubry, où la signature d'un seul syndicat suffisait à donner à un accord force de loi. Le nouveau droit devait au moins, affirmait la CGT dans une fiche destinée à ses militants, permettre "aux organisations ayant recueilli la majorité des suffrages exprimés aux élections professionnelles d'anéantir un mauvais accord". Ce droit, elle l'avait réclamé à cors et à cris, considérant comme inacceptable que la CGT puisse être contournée par des accords minoritaires. Et voilà qu'à sa première application, c'est elle-même qui y renonce!
À l'heure où le patronat multiplie les chantages aux fermetures et délocalisations pour imposer licenciements, augmentations d'horaires, blocages, voire baisses de salaires, ce qui se passait à Perrier, une entreprise où la CGT est très largement majoritaire et manifestait depuis le début de l'été une certaine fermeté, attirait l'attention de bien des militants syndicaux du pays et de salariés des autres entreprises (particulièrement celles de la région) en butte à des "restructurations". Et de la part de la confédération CGT, le renoncement décidé après marchandage sous l'égide de Sarkozy est un exemple déplorable.
Cela n'empêchera pas les travailleurs en butte aux attaques et aux chantages patronaux de se battre. Mais avec un Thibault comme avec un Chérèque, ils savent sur qui ils ne pourront pas compter.
Olivier Belin
Convergences Révolutionnaires n° 35 (septembre-octobre 2004) - bimestriel publié par la Fraction
Dossier: Défendre les services publics? Pourquoi? Comment?
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