Etats-Unis : Un choix pipé07/10/20042004Journal/medias/journalnumero/images/2004/10/une1888.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Dans le monde

Etats-Unis : Un choix pipé

Dans moins de six semaines, le mardi 2 novembre, les électeurs américains, du moins ceux qui se rendront aux urnes, seront appelés à choisir leur prochain président. À cette occasion, ils désigneront, dans chaque État, des grands électeurs qui, à leur tour, voteront en décembre. Ce mode de scrutin indirect, très critiqué même aux États-Unis, tant il a peu à voir, même en apparence, avec la possibilité pour l'électeur d'émettre un véritable choix, présente l'avantage aux yeux des dirigeants américains de réduire en fait le choix aux candidats du Parti Républicain et du Parti Démocrate.

Depuis le XVIIIe siècle, le président américain n'est pas élu au suffrage universel direct, mais par un collège électoral, qui réunit 538 grands électeurs choisis dans chaque État, un mode de scrutin hérité d'une époque où les dirigeants de la bourgeoisie, nouvellement arrivée au pouvoir, étaient préoccupés de ménager ceux qui parmi eux étaient encore réticents à la mise en place d'un État centralisé. En revanche, tous partageaient déjà la même méfiance du suffrage universel direct; une méfiance qui dure encore aujourd'hui.

L'État américain est un État fédéral qui regroupe 50 États. Pour toutes les élections, aussi bien pour élire le gouverneur d'un État, que les députés, et les sénateurs, on vote État par État. L'élection présidentielle, qui désigne pourtant le président de tous les Américains, n'y fait pas exception.

Il faut réunir 270 voix de grands électeurs pour être élu président. Dans chaque État, à l'issue du vote des citoyens, le candidat ayant la majorité obtient tous les grands électeurs. Or le nombre de ces derniers varie dans chaque État -de trois à cinquante-cinq- en fonction du nombre d'habitants, mais avec une pondération qui augmente la représentation des États moins peuplés. Cela peut avoir pour conséquence qu'un président ayant obtenu moins de voix des citoyens soit tout de même élu parce qu'il a réuni plus de voix de grands électeurs que son concurrent.

Le nombre global de grands électeurs reste constant, mais leur répartition est révisée à chaque élection en fonction de l'évolution de la population. Cette année par exemple, le nombre de grands électeurs a sensiblement augmenté dans des États plutôt favorables aux Républicains, comme la Californie, la Floride ou le Texas. En revanche, il a diminué à New York, en Pennsylvanie ou au Michigan.

Auparavant, de février à juin, Démocrates et Républicains sélectionnent leur candidat à travers le système des "caucus" et des "primaires". Le caucus est un comité électoral qui rassemble des militants d'un parti pour désigner les délégués de la convention du parti (l'équivalent d'un congrès) qui désignera le candidat à la présidentielle. Les "primaires", organisées dans une quarantaine d'États, ont la même fonction. Elles peuvent être "ouvertes" (si les électeurs des autres formations peuvent y participer) ou "fermées" (si elles sont réservées aux électeurs du seul parti). C'est donc un processus assez complexe qui se déroule selon un calendrier qui fait que ces désignations ont lieu plus tôt dans certains États que dans d'autres. Les premiers résultats peuvent orienter le choix du candidat. Quand plusieurs candidats sont en lice, la décantation peut être rapide, si les candidats malchanceux abandonnent en cours de route. La convention nationale, réunie pendant l'été, confirme le candidat qui s'est dégagé au fur et à mesure des caucus et des primaires.

Être élu aux États-Unis est avant tout une question de gros sous. Cela vaut pour tous les élus aux différentes fonctions, et à plus forte raison pour le président. Les candidats démocrates et républicains ne sont pas pour rien les représentants des plus privilégiés. La collecte de fonds destinés à leur campagne électorale leur permet de recevoir les soutiens financiers des principales grandes entreprises du pays, qui versent généralement aux deux candidats. Les sommes réunies par Bush et Kerry, cette année, ont dépassé tous les plafonds atteints lors des précédentes élections. Avec cet argent, un candidat peut inonder le pays de spots publicitaires télévisés qui ont pour fonction de détruire l'image de l'adversaire plutôt que de présenter un programme.

Dans ces conditions, l'élection présidentielle n'est de fait ouverte qu'à ceux qui peuvent disposer de gros moyens financiers. En théorie, des candidats indépendants ou représentant des petits partis peuvent se présenter, mais c'est en général un véritable parcours du combattant. Pour être candidat, ils doivent réunir un nombre variable de signatures d'habitants soutenant leur candidature dans chacun des États. Mais, même s'ils y parviennent dans un certain nombre d'États, les grands médias ne leur accordent généralement aucune attention.

C'est ainsi qu'actuellement, outre le candidat indépendant Ralph Nader qui participait déjà à l'élection présidentielle il y a quatre ans (avec le soutien des Verts, il avait pu être présent dans 43 États, où il avait obtenu 2,7% des voix), plusieurs partis tentent de présenter un candidat à l'élection présidentielle, ainsi qu'aux élections locales qui peuvent y avoir lieu en même temps. C'est le cas du Green Party (les Verts), du Socialist Workers Party (Parti des Travailleurs Socialistes, extrême gauche) et de quelques autres.

Pas étonnant, dans ces conditions, qu'avec le temps on ait surtout vu grandir le camp des abstentions. La presse américaine affirme que les électeurs américains se sentiraient plus concernés cette année. On verra ce qu'il en est quand les résultats définitifs auront été décomptés; des résultats qui ne seront connus que plusieurs semaines après l'élection. La tendance est que de plus en plus d'électeurs, un sur deux en moyenne, en particulier dans les classes populaires, ne se déplacent plus guère pour voter, tant le jeu est pipé. En effet, si on ne peut pas dire qui de Bush et de Kerry l'emportera, on peut en revanche être sûr que la prochaine administration, qu'elle soit républicaine ou démocrate, mènera une politique favorable aux entreprises et aux privilégiés.

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