Entrée de la Turquie en Europe : Ne pas craindre l'élargissement07/10/20042004Journal/medias/journalnumero/images/2004/10/une1888.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Dans le monde

Entrée de la Turquie en Europe : Ne pas craindre l'élargissement

La Commission européenne va très vraisemblablement donner son feu vert à l'ouverture des négociations d'adhésion de la Turquie à l'Union européenne. Ce n'est que le début d'un marathon qui va durer au moins dix ans, mais cette première étape a déjà fait couler beaucoup d'encre.

Comme à chaque fois que l'Europe s'est proposé d'intégrer de nouveaux pays membres, on a vu s'affronter les nationalistes à tout crin, qui voyaient la France perdre son indépendance, aux partisans d'une Europe élargie, industriels au premier plan, qui raisonnent en termes de marché et ont bien compris que les frontières héritées du passé sont un frein au développement économique. Mais c'est la domination capitaliste, pas l'élargissement de l'Europe, qui est un problème pour les travailleurs.

De ce point de vue, à l'occasion de la demande d'adhésion de la Turquie, on a eu droit à un florilège de soi-disant arguments de toute sorte. D'abord des "arguments" géographiques, la Turquie n'étant pas, nous dit-on, un pays européen, mais asiatique. C'est oublier que cette frontière entre Europe et Asie est absolument artificielle, et que la géographie ne connaît pour ces deux "parties du monde" qu'un seul continent: l'Eurasie. D'ailleurs, ceux qui se réclament fièrement des racines grecques de la civilisation occidentale oublient qu'une grande partie de la Grèce antique se trouvait en Asie mineure,c'est-à-dire aujourd'hui en Turquie. Par exemple, le mathématicien et philosophe grec Thalès, célèbre par son théorème, vivait dans une région aujourd'hui turque.

Autre soi-disant argument contre l'entrée de la Turquie, les raisons culturelles et religieuses. L'arrivée de quelque 80 millions de Turcs dans l'Europe, ce serait l'équivalent du péril jaune des racistes du siècle dernier. Nous serions envahis par une vague islamiste, les croisades à l'envers, à entendre les de Villiers et consorts. Mais s'opposer à priori à l'entrée de la Turquie pour des raisons religieuses, au nom de la laïcité, c'est oublier que, parmi les pays membres et même parmi ceux récemment entrés, comme la Pologne ou l'île de Malte, le poids des intégristes catholiques est au moins aussi lourd à supporter que celui des intégristes musulmans à Istanbul ou Ankara. En Pologne et à Malte, l'Église s'oppose au droit des femmes et maintient l'interdiction de l'avortement. Et parmi les pays depuis longtemps européens, comme le Portugal ou l'Irlande, la situation n'est guère plus favorable et le poids de l'Église y est toujours aussi étouffant. Alors, prétexter que la Turquie est un pays musulman pour refuser son adhésion relève de la pure démagogie, pour ne pas froisser les préjugés réactionnaires des électeurs de de Villiers ou Raffarin.

Comme ces préjugés peuvent peser lourd dans la balance électorale, et peut-être même influer sur le résultat du prochain référendum, on vient de voir Chirac lancer l'idée que, désormais, l'entrée d'un nouveau pays dans l'Union européenne serait soumise à référendum, et que ce serait en particulier le cas pour décider d'accepter la candidature d'Ankara. Ça ne mange pas de pain turc et ce, d'autant plus que Chirac sait parfaitement que les négociations prendront près de dix ans. D'ici là, il ne sera plus à l'Élysée et, en tous les cas, on ne parlera pas de la Turquie pour le prochain référendum sur la Constitution européenne. La ficelle est grosse, mais le petit monde politicien a commencé à prendre des poses solennelles, dans un sens ou dans un autre, feignant de brandir des grands principes là où il n'y a que des petits calculs.

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