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Leur société
Presse : Dassault, fabricant d'avions et marchand de salades
En rachetant la Socpresse (70 journaux dont le quotidien Le Figaro) pour 1,5 milliard d'euros, Serge Dassault est devenu le propriétaire du premier groupe de presse du pays. Le fait qu'un patron de l'industrie comme Dassault rachète des sociétés de presse n'a rien d'original. Le groupe de presse Hachette est la propriété de Lagardère, marchand d'armes comme Dassault. Le groupe de travaux publics Bouygues est propriétaire de TF 1, et d'autres financiers possèdent des journaux ou des radios.
Pour ces grands patrons, la "communication" est un moyen comme un autre de gagner de l'argent. Vendre des armes, du béton ou des salades, quelle différence? Mais c'est aussi un moyen de façonner l'opinion.
Pour cela, il suffit souvent aux propriétaires de journaux ou de télé de laisser les journalistes écouter la "voix de leur conscience". Cette voix les trompe rarement et la presse défend avec une belle unanimité le capitalisme, en général, et les capitalistes dont elle est la propriété, en particulier. Mais Serge Dassault trouve que ce n'est pas assez et il veut pouvoir intervenir personnellement dans les journaux qu'il possède, spécialement le quotidien Le Figaro.
Dès l'annonce du rachat total par Dassault, en mars 2004, les journalistes du groupe, pourtant peu suspects de gauchisme, s'inquiétaient de "l'indépendance de l'information". M.Dassault les avait prévenus: il s'agit, disait-il, "de faire passer un certain nombre d'idées saines".
Lesquelles? Serge Dassault pense qu'il ne faut pas "faire de propagande". D'après lui, par exemple, il faut dire "qu'on ne travaille pas assez et qu'on a trop de contraintes". Autrement dit: les travailleurs font trop peu d'heures et les patrons ont trop de contraintes. Est-ce que ça n'est pas la propagande du Medef? Sur ce sujet, le nouveau patron n'a sans doute pas eu de mal à se faire comprendre des journalistes du Figaro. Mais il ajoutait: "Des articles parlent de contrats en cours de négociation. Il y a des informations qui peuvent faire plus de mal que de bien. Le risque est de mettre en péril les intérêts commerciaux ou industriels de notre pays." Pour les journalistes qui n'auraient pas bien compris, M. Dassault a illustré son propos en faisant retirer ou modifier des articles sur des ventes d'armes, entre autres la vente de frégates à Taïwan et ses milliards de pots-de-vin. Sans doute cet article donnait-il des rapports entre les entreprises d'armement et les différents gouvernements une image pas bien "saine"... mais finalement conforme à la réalité.
Après cela, 93% des journalistes du Figaro ont voté une motion disant que les propos de Serge Dassault étaient "contradictoires avec la charte des journalistes de la rédaction". Certains doivent se demander quel article ils auraient eu le droit d'écrire en 1998, lorsque Serge Dassault avait été condamné pour avoir versé des pots-de-vin à des politiciens belges. Que pourront-ils écrire, si une affaire du même ordre se reproduit?
Seulement voilà, pour ses 1,5 milliard d'euros, Dassault a acheté les titres, les machines, le droit de dire aux journalistes ce qu'ils doivent penser, le droit de décider quelles idées sont "saines" ou non et la possibilité de les répandre dans l'opinion. C'est ce qu'on appelle la "liberté de la presse".