Moins d'emplois industriels : "Désindustrialisation" ou rapacité des patrons ?23/09/20042004Journal/medias/journalnumero/images/2004/09/une1886.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Leur société

Moins d'emplois industriels : "Désindustrialisation" ou rapacité des patrons ?

Économistes officiels, ministres, hommes politiques de droite comme de gauche, journalistes, tous répètent que les licenciements et le chômage sont dus à la désindustrialisation du pays et aux délocalisations. Ils contribuent ainsi à renforcer le découragement et le fatalisme de bien des travailleurs, face à des licenciements qui apparaissent comme inéluctables puisqu'ils seraient la rançon des "nécessités" économiques. Ils évitent ainsi de poser la question essentielle: comment se fait-il que l'augmentation de la production des richesses, l'augmentation de la productivité, c'est-à-dire tout ce qui fait le progrès, ne profitent pas aux salariés? Comment se fait-il que ces évolutions, a priori favorables, se traduisent par des licenciements, par une dégradation des conditions de vie des travailleurs?

En fait, tous ces laudateurs du système capitaliste cachent l'essentiel: la croissance du chômage n'est pas due à une "désindustrialisation", au demeurant discutable, mais à la rapacité des patrons qui accaparent une part toujours plus grande de la richesse que les travailleurs produisent.

Désindustrialisation ?

Dans le pays, entre 1978 et 2002, l'industrie a perdu 1,5 million d'emplois, soit 25% de ses effectifs. La part de l'emploi industriel serait passée, d'après des statistiques, de 24% en 1980 à 15,9% en 2002. Mais cette baisse de la part de l'emploi industriel dans les statistiques est, en partie, factice. En effet, lorsqu'une usine externalise une activité, il arrive que les emplois correspondants changent de catégorie statistique. Ainsi lorsqu'une usine assure elle-même la restauration de ses employés, cuisiniers et personnes de service sont classés dans l'industrie. Si cette activité vient à être externalisée, elle relève alors de la catégorie des services. Il en est de même pour le travail intérimaire, considéré comme un "service" aux entreprises: 300000 intérimaires travaillent pour l'industrie, tout en relevant statistiquement du secteur tertiaire. Et il en est de même pour les "services" informatiques qui se sont multipliés, alors qu'au fond une grande partie des tâches qu'ils remplissent faisaient partie, auparavant, du processus industriel.

La réalité de cette chute de la part de l'emploi industriel dans l'emploi total est donc à tout le moins discutable. Mais, en tout cas, la cause de cette chute des emplois n'est pas la baisse de la production industrielle. Bien au contraire, la production industrielle aurait augmenté, d'après les statistiques, depuis 1980, et en volume (de 2,5% par an), et en valeur. Et la part de la production industrielle dans la richesse totale produite est restée quasiment stable depuis trente ans. Dans l'automobile, les effectifs salariés sont passés de 325000 à 296 600 emplois, de 1990 à 2002, mais la production est passée de l'indice 106 à 181 et la valeur ajoutée de 105 à 175.

Productivité sur le dos des travailleurs

En fait, moins de salariés produisent autant, si ce n'est plus dans certains secteurs, essentiellement grâce à des gains importants de productivité. Celle-ci a progressé depuis 1990 de plus de 4% par an, en moyenne. Dans des secteurs comme celui de l'automobile, elle a même fait des bonds de 10%, voire 15%, certaines années. Une part de ces gains est due aux innovations techniques.

Mais, comme le dit un rapport d'information de la Délégation à l'aménagement du territoire, la Datar, présenté à l'Assemblée nationale en mai dernier, ces gains de productivité sont "essentiellement assis sur les efforts des salariés". C'est le moins qu'on puisse dire! Les patrons ont imposé depuis des années des conditions de travail plus pénibles, des cadences plus élevées, ils ont fait la chasse aux temps morts et aux gestes "inutiles", instauré la flexibilité. Ils ont licencié des travailleurs et fait faire le même travail, et même plus, par moins d'ouvriers, augmentant ainsi leur part de profits.

Nous sommes bien loin de la "désindustrialisation" dont on nous rebat les oreilles. Désindustrialisation, délocalisation, sont des mots qui servent aux patrons à faire accepter une modification en leur faveur de la répartition des richesses.

Malheureusement, les confédérations syndicales reprennent souvent les mêmes idées, sous une autre forme. Face aux licenciements ou face à une fermeture, elles proposent des plans "alternatifs" , des projets de "réindustrialisation". Elles réclament l'intervention des pouvoirs publics qui, quand ils interviennent, en profitent pour offrir de nouveaux cadeaux au patronat sous forme d'exonérations diverses.

Bien sûr, les militants qui se retrouvent confrontés à ces licenciements dans leur entreprise font ce qu'ils peuvent. Mais leur direction syndicale, elle, devrait proposer une politique d'ensemble de la classe ouvrière. Car faire reculer les patrons sur les licenciements est une question de rapport de force entre la classe ouvrière prise dans son ensemble et le patronat.

Aujourd'hui, la société est capable de produire plus de richesses avec relativement moins de travail, grâce à une plus grande productivité. Jamais, que ce soit à l'échelle de ce pays ou à celle du monde, la société n'a eu autant la possiblité matérielle de satisfaire les besoins de tous. Le problème n'est donc pas la disparition de vieilles industries, mais bien le pouvoir absolu qu'exerce cette classe sociale qui continue à exploiter les travailleurs pour augmenter encore sa part dans la richesse qu'ils produisent.

Alors, il est bien sûr normal que les travailleurs menacés de licenciements se battent contre la fermeture de leur entreprise. Mais, pour la classe ouvrière dans son ensemble, la solution n'est pas de se battre, ville par ville, usine par usine, pour s'opposer à la prétendue "désindustrialisation" et lui rechercher des solutions alternatives. Elle est d'imposer que les progrès de la productivité bénéficient réellement aux travailleurs. Supprimer les travaux pénibles, diminuer le temps de travail sans diminuer et même en augmentant les salaires, donner à chacun la possibilité de vivre décemment en profitant des progrès de la technique: tout cela est parfaitement possible, à condition de briser le pouvoir patronal et les lois du profit.

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