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Russie : Nouveau président pro-russe en Tchétchénie - Guerre, trafics et farce électorale
C'est par ces mots que le quotidien russe Kommersant a décrit la conférence de presse proclamant les résultats de l'élection présidentielle du 29 août en Tchétchénie, 85% de participation et 74% de voix pour Alou Alkhanov, candidat du Kremlin intronisé, sans surprise, à la tête du pays: "Les journalistes, qui n'ont vu presque personne dans les bureaux de vote, ont essayé de savoir d'où sortent de tels chiffres. Ils n'ont pas obtenu de réponse" des officiels présents. Et pour cause!
Les 100000 militaires russes basés en Tchétchénie ont voté pour le candidat du pouvoir, tandis que les autorités russes contrôlaient de bout en bout la désignation des candidats, les votes et leur dépouillement. Bref, la routine dans cette petite république sécessionniste dont la population est écrasée depuis des années sous la botte des bandes armées, surtout celle de l'armée russe, depuis qu'elle y a lancé la guerre en 1994.
Fin 1999, s'apprêtant à devenir président de la Fédération de Russie, Poutine se targuait de liquider la rébellion indépendantiste en quelques semaines. L'armée fédérale dispose de moyens considérables. Mais elle a beau bombarder, piller, racketter, torturer, massacrer, il ne se passe guère de semaine sans que les faits ne démentent publiquement Poutine. Les indépendantistes multiplient les opérations spectaculaires. Sans oublier celles qui leur sont attribuées à tort ou à raison (tel le double attentat contre des avions de ligne où 90 passagers ont péri le 24 août) mais que les chefs indépendantistes dénoncent comme l'oeuvre de tel ou tel secteur des services secrets ou de l'armée russes, sinon du Kremlin lui-même. Cela n'aurait rien d'impossible.
Récemment, un journal proche du pouvoir russe a publié deux pages d'interviews d'officiers russes en Tchétchénie. La plupart considèrent cette guerre comme perdue. Mais elle n'est pas "perdue" pour tout le monde.
Bien des gradés des diverses instances militaires et policières russes ont intérêt à ce que cette guerre ne cesse pas. Outre qu'elle justifie les subventions versées au corps dont ils dépendent, ils peuvent espérer y gagner galons et médailles. Elle leur offre surtout un terrain propice à de juteux trafics d'armes, de pétrole, de devises, de narcotiques, etc.
L'État russe central, lui, aurait politiquement besoin d'une victoire incontestable en Tchétchénie dont il puisse se glorifier. Mais il reste sans moyens face aux buts auxquels sont personnellement et collectivement intéressés les chefs, petits ou grands, de ses propres organes de répression, qui sont à l'image du reste de son appareil d'État: peu ou pas contrôlables.
La récente élection présidentielle de Tchétchénie en est l'illustration même. En effet, elle a eu lieu à peine sept mois après qu'avait déjà été élu un homme choisi par le Kremlin, Akhmad Kadyrov. Chef d'un clan dit traditionnel, trafiquant et dignitaire religieux qui appelait à la "guerre sainte" contre la Russie en 1994, ce seigneur de la guerre indépendantiste avait finalement jugé plus profitable pour ses affaires de se rallier à Moscou. Poutine l'avait intronisé président, escomptant que les milliers d'hommes de main de sa milice privée, sa "garde présidentielle", fassent régner l'ordre sur la population.
Mais au fil des mois, Kadyrov avait gagné en appétit. Il voulait récupérer l'argent du pétrole transitant par la Tchétchénie. Ses intérêts s'opposaient ainsi de plus en plus à ceux de l'état-major russe qui avait fait main-basse sur les puits de pétrole et oléoducs locaux. Le conflit s'est réglé de façon radicale: le 9 mai, lors de la principale fête nationale russe (qui commémore la victoire de l'URSS sur l'Allemagne nazie), une bombe placée dans la tribune d'honneur tua Kadyrov. La thèse officielle attribue l'assassinat aux indépendantistes. Mais ils auraient été très forts pour réussir un tel coup dans une capitale tchétchène transformée en camp retranché par l'armée russe, et ce jour-là plus que d'habitude. À moins que ces prétendus "terroristes", qu'on n'a jamais retrouvés, n'aient été aidés en haut lieu par ceux sur les plates-bandes desquels Kadyrov empiétait...
Ce dernier a tenu sept mois. Combien de temps tiendra son successeur? Bien qu'adoubé par Poutine, ce général-major de la police venu de Moscou n'a pas même une de milice à lui, pour sévir autant que pour se protéger de ses alliés-rivaux.