Avec la peau des peuples !20/08/20042004Journal/medias/journalnumero/images/2004/08/une1881.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Tribune de la minorité

Avec la peau des peuples !

Pour la célébration du débarquement en Provence à l'été 1944, Chirac a décerné une médaille à quelques survivants venus de pays de l'ancien empire colonial français. Nos gouvernants disent se souvenir soudain que la France et l'Europe doivent leur liberté à ces hommes. Mais quelques malheureuses médailles n'effaceront pas l'ingratitude et le cynisme de l'État français à leur égard.

Ces soldats, Goumiers, Spahis ou Tirailleurs sénégalais qui venaient de toutes les colonies de l'époque, formaient plus de la moitié des troupes françaises qui ont débarqué en Méditerranée : 120000 sur un total de 230000. Mais ces " indigènes " méprisés et opprimés, n'étaient soudain hissés au rang de Français que pour être envoyés en première ligne, se faire trouer la peau.

Ils avaient été recrutés dans les régions les plus pauvres, comme les montagnes de l'Atlas au Maroc. Présentés comme des engagés volontaires, ils étaient bien souvent enrôlés de force, tel cet ancien combattant marocain qui raconte que le recruteur lui a dit : " soit tu viens avec nous, soit tu vas en prison " ! Les officiers qui les encadraient étaient souvent d'anciens vichyssois, que la défaite certaine de l'Allemagne avait convertis en résistants de la dernière heure. Les gouvernements passent, mais les armées et les polices restent !

Des dizaines de milliers de soldats africains, antillais, maghrébins, ont été envoyés au casse-pipe, tout cela pour quoi ? Cette " Libération " sous la houlette d'un De Gaulle n'a pourtant pas été la leur -et pas davantage celle des travailleurs en France. Les colonies, l'exploitation de leurs populations et de leurs richesses, ont continué d'être un enjeu de taille pour l'impérialisme français. Et dès la fin de la guerre, l'État français s'est employé à rappeler à tous les peuples qu'il opprimait que rien n'avait changé : on s'était servi d'eux comme chair à canon, mais ils pouvaient dégager ! La colonisation continuait comme avant ! L'indépendance que la France avait retrouvée avec la fin de l'occupation allemande, n'était pas pour eux. Chez eux au contraire, continuait l'occupation française. Brutale. Dès le 8 mai 1945, en pleine célébration de la " victoire contre le fascisme ", alors que les Algériens de Sétif manifestaient pour leur part de liberté, l'armée française et les milices de colons massacraient plus de 40000 personnes...

Quand révoltes et révolutions ont finalement arraché à l'État français les indépendances, les pensions et les retraites des étrangers ayant servi dans l'armée française ont tout simplement été gelées à leur montant à cette date. C'était la loi dite de " cristallisation ", votée en 1959 sous de Gaulle. Une scélératesse qui fait qu'à la fin 2002, tandis qu'un ancien combattant français percevait 690 euros mensuels, un Sénégalais en touchait 230 et un Marocain 61 ! Pas de droit à la retraite non plus ni a fortiori rien, à leur mort, versé à leur veuve.

Aujourd'hui, si l'État a décidé de revaloriser ces pensions, c'est parce que des anciens combattants survivants ont entamé des actions en justice. Et tout ce qu'on leur concède, c'est une augmentation de 20% ! Dérisoire, étant donné la faiblesse initiale des pensions, dont l'arriéré ne pourra être perçu qu'à compter de l'an 2000. Voilà des années de pensions et de retraites balayées d'un revers de main ! La France prétend que cela lui coûterait trop cher, même maintenant, alors que bien peu de ces vétérans d'une guerre d'il y a 60 ans sont encore en vie ! Cela lui coûte évidemment moins cher de donner la légion d'honneur à la ville d'Alger, promue " capitale de la France libre en 1944 "... mais ville quadrillée de 1954 à 1962 par l'armée française et capitale alors de la torture !

Cela dit, le fait d'avoir envoyé sur les champs de bataille d'Europe la jeunesse des colonies, n'a pas été sans conséquences. Ce sont souvent les jeunes rescapés qui, de retour dans leur pays de misère, se sont soulevés, les armes à la main, pour conquérir leur propre libération. Et à défaut d'une véritable émancipation du joug économique, arracher l'indépendance politique.

Juste retour de flamme.

Éditorial des bulletins d'entreprise " L'Étincelle ", édités par la Fraction, du lundi 16 août 2004.

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