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Leur société
JO : La flamme
Les Jeux olympiques d'Athènes vont envahir les écrans de télévision. Cette gigantesque foire-spectacle est surtout le miroir de la société d'aujourd'hui: nationalisme, esprit de compétition, gros sous et conformisme social en sont les principaux ingrédients. Et loin de s'affranchir des conflits et des tensions entre les peuples, les JO en sont la caisse de résonance. Les États, ceux des pays riches en particulier, s'en servent pour réaffirmer leur puissance et ce qu'ils appellent leurs «valeurs»; quant aux plus faibles, bien souvent des dictatures, une médaille ou deux peuvent renforcer leur régime aux yeux de leur peuple.
Bien qu'ils se prétendent apolitiques et indépendants des États (et des religions), les Jeux olympiques ont toujours été le reflet fidèle des sociétés qui les organisaient.
Les premiers jeux ont eu lieu en 776 avant notre ère à Olympie. Organisés tous les quatre ans, les jeux perdurèrent jusqu'en 394. Ils furent interdits par l'empereur romain Théodose1er, quand il apparut que ces fêtes païennes faisaient concurrence au christianisme.
Des jeux très politiques
L'idée d'organiser des jeux mondiaux fut reprise par Pierre de Coubertin et les premiers jeux modernes eurent lieu à Athènes en 1896. Ils ont ponctué ensuite tout le XXe siècle. Mais loin d'imposer de faire évoluer le monde vers davantage de paix, les JO dits «modernes» ont servi de lieux d'expression aux différents conflits du siècle.
En 1916, les JO étaient prévus à Berlin. Avec la Première Guerre mondiale, ils n'eurent pas lieu, et l'Allemagne, vaincue, ne fut invitée ni en 1920 à Anvers, ni en 1924 à Paris. Avec l'aide du Comité olympique, les Jeux eurent finalement lieu en 1936 à Berlin, trois ans après la prise du pouvoir par Hitler. Le régime hitlérien comptait bien s'en servir pour préparer sa revanche et affirmer la supériorité de l'Allemagne et de la race dite aryenne. Mais l'athlète noir américain Jesse Owens, en remportant quatre médailles d'or (100m, 200m, quatre fois cent mètres et saut en longueur) provoqua la colère d'Hitler qui quitta ostensiblement le stade pour ne pas avoir à lui serrer la main. En 1948, à Londres, les vaincus de la Deuxième Guerre mondiale, Japon et Allemagne, ne sont pas invités. La Chine, de son côté, devra patienter trente ans avant d'être admise à participer aux Jeux. Auparavant, c'est la petite île de Formose qui y représentait la «vraie» Chine.
En 1972, à Munich, c'est le conflit du Proche-Orient qui marqua les Jeux de son empreinte. Un commando palestinien prit des sportifs israéliens en otage, faisant deux morts. Lors de l'assaut décidé par le gouvernement allemand, cinq palestiniens, un policier et neuf autres otages furent tués.
En 1980, les USA et plusieurs pays occidentaux décidèrent le boycott des Jeux de Moscou pour protester contre la politique soviétique en Afghanistan. Quatre ans plus tard, à Los Angeles, une bonne partie du bloc soviétique refusa à son tour de se déplacer.
Les exploités ont rarement saisi l'occasion des Jeux pour s'exprimer, mais rappelons qu'à Mexico, en 1968, deux sprinters noirs américains, Tommie Smith et John Carlos, protestèrent contre le sort réservé à leurs frères de couleur aux USA en levant sur le podium leur poing ganté de noir, en signe de solidarité avec le mouvement de résistance Black Power. Ils furent expulsés du village olympique. Les organisateurs se sont dit choqués que les Jeux soient utilisés pour exprimer des opinions politiques. Mais ils n'avaient pas été choqués lorsque, dix jours avant l'ouverture de ces Jeux, la police et l'armée mexicaines avaient tiré à la mitrailleuse sur une manifestation pacifique d'étudiants rassemblés place des Trois-Cultures, en plein coeur de Mexico, faisant plusieurs centaines de morts et de blessés.
L'or n'est pas que dans les médailles
L'organisation des JO à Athènes représente un énorme budget: 4,6 milliards d'euros pour le budget prévisionnel, qui, pour l'heure, sont devenus 6 milliards. Ce pactole n'est pas perdu pour tout le monde. Il a permis aux entreprises qui ont construit, parfois à la va-vite, les stades, les moyens de transport et les équipements divers de faire de plantureux profits. Et de son côté, le gouvernement prévoit dès à présent une cure d'austérité... pour les couches populaires qui, elles, auront à payer le montant de toutes les infrastructures.
Les sponsors ont dépensé des millions d'euros, mais eux espèrent un substantiel retour sur investissement. Les fabricants de chaussures et de vêtements de sport, Nike, Reebok et Adidas se partagent à eux trois 60% d'un marché de 17 milliards de dollars par an. Leurs profits reposent sur une recette très simple: des prix élevés, des salaires misérables et des conditions dignes du 19ème siècle, dans des usines du Tiers Monde où l'on travaille jusqu'à 17 heures par jour six jours sur sept...
En 1996, à Atlanta, l'omniprésence du sponsor principal, Coca Cola -certains ont parlé des jeux de Cocatlanta- avait posé quelques problèmes. Craignant de sombrer dans un affairisme trop voyant, le CIO a mis en avant son programme TOP (The Olympic Program) qui regroupe cette fois plusieurs entreprises comme Kodak, Time, Visa, Xerox, IBM, Swatch et bien sûr McDonald's et Coca Cola. Toutes ces entreprises auraient investi au moins 700 millions de dollars à Athènes, conjointement à de nombreuses autres entreprises grecques.
Quant aux droits de retransmission télévisée, ils battent chaque olympiade de nouveaux records: un million de dollars pour les JO de Rome en 1960, 100 fois plus à Moscou en 1980, et plus de 1 300 millions de dollars en 2000 à Sydney. On parle de 1,5 ou 1,7 milliard de dollars cette année à Athènes.
L'élitisme olympique
Même si les JO touchent un milliard de téléspectateurs, et mobilisent plus de 10000 athlètes de 200 pays, la philosophie olympique est marquée par le culte de l'élite et, en corollaire, par le machisme et le racisme.
Les Jeux antiques ne s'adressaient qu'aux hommes. Les femmes en étaient exclues. Les esclaves et les étrangers étaient tolérés mais comme spectateurs.
Jusqu'à la Deuxième Guerre mondiale, moins de cinquante pays participaient aux JO. Il s'agissait au départ, dans la plupart des cas, de Blancs. En 1904, les gens de couleur avaient été confinés dans une parodie de jeux, les «Anthropological Days». À Stockholm, en 1912, le favori noir du 100 mètres ne s'est pas présenté au départ puisque son entraîneur l'avait enfermé dans les vestiaires pour éviter la honte de la victoire d'un homme de couleur. Comme le disait Coubertin: «La race blanche est d'essence supérieure...»
Peu à peu, les préjugés racistes ont régressé. Mais pas l'élitisme. Si le nombre de disciplines représentées est passé de 8 à près de 30, le niveau requis pour participer aux Jeux s'est élevé au point de n'être plus accessible qu'à des «sportifs» consacrant plusieurs heures par jour à un entraînement parfois inhumain.
Quant aux femmes, elles ont longtemps eu droit à la portion congrue. Sur les 1066 athlètes qui ont participé aux JO de Paris en 1900, il y avait six femmes, et plus aucune en 1904 à Saint-Louis. Le nombre des femmes athlètes est monté progressivement mais, même actuellement, on compte deux fois moins de femmes que d'hommes dans les compétitions.
Il faut dire que l'exemple vient de haut: la première femme n'a été admise au CIO, le comité d'organisation des JO, qu'en... 1981.
Nationalisme et esprit de compétition
L'idéologie des Jeux olympiques, et de ce qu'on appelle le sport en général, est profondément marquée par l'esprit de compétition, à tel point qu'on n'imagine même plus la pratique d'un sport qui n'aboutirait pas à un classement allant du premier au dernier. Pour réussir à être le premier, certains sont prêts, pour eux-mêmes ou pour ceux qu'ils entraînent, à tous les sacrifices, à toutes les tortures, comme pour ces jeunes gymnastes, qui passent toute leur enfance à répéter au-delà du supportable des mouvements qui ne sont bons ni pour leur corps ni pour leur développement. Sans parler de ceux, jeunes ou adultes, qui absorbent, de plus en plus, des produits dopants qui mettent en péril immédiat leur santé et parfois leur vie.
Cet esprit de compétition est le reflet direct de la principale «valeur» du capitalisme: la concurrence. L'idée de se dépasser soi-même, sans nécessairement concurrencer l'autre, qui existe peut-être encore dans certains sports est depuis longtemps en voie de disparition, balayé par l'idéologie de la réussite individuelle et de la loi du plus fort.
C'est le cas bien sûr des JO et de ses équipes représentant chacune une «nation». Chaque État investit directement dans le sport de «haut niveau» censé le représenter, au détriment le plus souvent du sport populaire pour tous. Le mouvement olympique, à travers drapeaux et hymnes nationaux, exacerbe le nationalisme. Ce qui ne l'empêche pas de parler de «compréhension mutuelle, d'esprit d'amitié, de solidarité et de fair play» pour reprendre les termes de la charte olympique!