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Dans le monde
Haïti : Inondations, pauvreté et troupes d'occupation
Villages engloutis sous les eaux, habitants et bétail confondus; bourgades rayées de la carte; hameaux entraînés par une avalanche d'eau, de boue et de roches... Cinq jours après que des pluies diluviennes se sont abattues sur Haïti et la République dominicaine, l'ONU estimait leur bilan à 1500 morts au moins, un chiffre qui ne cesse de s'alourdir.
Pluies tropicales et cyclones sont une donnée climatologique de la Caraïbe. Mais, dans ce drame, la nature n'est pas seule en cause. Ici et là, de bonnes âmes mettent en cause une "catastrophe écologique", accusant le déboisement systématique d'Haïti d'avoir favorisé l'érosion et ainsi amplifié les ravages de la nature.
Mais si Haïti est tellement déboisé, c'est parce que sa population, l'une des plus pauvres du monde, n'a guère d'autres moyens de se procurer du bois pour cuire ses aliments. Et si nombre de paysans se sont installés sur le flanc de collines pelées ou au fond de vallées, dans des lits de rivières asséchées, c'est que la terre y était un peu plus fertile, ou tout simplement parce que c'était le seul endroit où ils pouvaient dresser leur masure. C'est pour cela, après le cyclone "Georges" qui avait déjà inondé ces régions en 1998, que leurs habitants y sont restés, y compris quand, faute de moyens, l'eau a continué à y stagner des années durant. À quel autre endroit auraient-ils pu tenter de survivre? Dans les bidonvilles de Port-au-Prince, soumis au racket et à la terreur des bandes armées?
Alors, à Haïti, si la nature est responsable du drame, c'est encore une fois la pauvreté qui est seule cause de sa terrible ampleur.
Le pire, cette fois, c'est qu'au moment même où cette nouvelle catastrophe a ravagé Haïti, il s'y trouve, armées de pied en cap, des forces d'occupation venues de pays parmi les plus riches de la planète. Il y a trois mois, quand l'ancien président Aristide a dû quitter le pouvoir, au milieu de règlements de comptes sanglants entre les bandes armées au pouvoir et celles qui le lui disputaient, les États-Unis et la France se sont dépêchés d'envoyer des troupes sur place. Non pas pour rétablir la démocratie, comme l'ont prétendu les représentants de ces États, mais pour se substituer à un pouvoir haïtien en pleine déliquescence, incapable d'assurer l'ordre, un ordre qui garantisse au patronat local et à ses donneurs d'ordres internationaux la libre exploitation d'une main-d'oeuvre payée guère plus d'un euro par jour!
On en a d'ailleurs la confirmation dans les propos d'un responsable du Programme alimentaire mondial de l'ONU en Haïti, cité par le journal Le Monde du 2 juin: "Nous déplorons que la force intérimaire (les troupes américaines, françaises, canadiennes, etc.), disait-il, ait d'autres priorités et ne puisse plus assurer le transport d'aide alimentaire". Et d'ajouter que, dans ces conditions, "la situation d'urgence alimentaire pour près de 15000 familles affectées par les inondations risque de se prolonger durant deux ou trois mois".
Combien de personnes, qui ont survécu à ces inondations, ne survivront pas aux "autres priorités" des grandes puissances impérialistes? Et comment qualifier leur système, capable d'envoyer en quelques heures une armada à Haïti ou ailleurs pour y assurer leur ordre, mais qui n'a jamais levé le petit doigt, ce qui ne lui aurait pas coûté grand-chose, pour aider ce petit pays, exploité depuis des siècles par les grandes puissances, à se doter d'un minimum d'infrastructures, dont l'absence laisse la population sans travail, sans ressources et, aussi, sans défense face à la nature?