Élargissement de l'Europe et délocalisations : Ne pas se tromper de cible03/06/20042004Journal/medias/journalnumero/images/2004/06/une-1870.gif.445x577_q85_box-0%2C16%2C161%2C224_crop_detail.png

Leur société

Élargissement de l'Europe et délocalisations : Ne pas se tromper de cible

L'élargissement de l'Union européenne à dix nouveaux pays suscite des inquiétudes parmi les salariés. N'y aurait-il pas un risque de multiplication des délocalisations? Les entreprises de pays comme la France trouveraient en effet, dans l'intégration de ces pays où les salaires sont souvent bas et la législation sociale nettement plus favorable au patronat, une opportunité de transférer leur production, et d'aggraver ainsi les licenciements et le chômage ici, en France.

Des porte-parole de l'extrême droite comme LePen ou deVilliers sont friands d'un tel discours, qui leur permet de faire assaut de chauvinisme tout en se posant démagogiquement en défenseurs des travailleurs français, dont ils opposent les intérêts à ceux des travailleurs d'autres pays. À gauche aussi on utilise cet argument pour justifier l'hostilité à l'élargissement de l'Union, et de manière plus générale à l'Union elle-même, qui serait responsable du sort fait au monde du travail.

Cette propagande rencontre un certain écho, d'autant qu'elle s'alimente de faits qui ont marqué l'opinion populaire. Depuis des années, -mais cette tendance ne s'est pas affaiblie ces derniers mois- se sont en effet succédé les fermetures d'entreprises dont la production était transférée vers des pays à bas salaires.

Il reste qu'identifier ainsi l'Union européenne, les délocalisations et la montée du chômage, et en conclure que la lutte contre les licenciements passe par la lutte contre les institutions européennes, relève, de la part de ceux qui fixent aux travailleurs de tels objectifs, de l'escroquerie politique. Car cela revient à viser l'ombre à la place de la proie et, du coup, à laver de toute responsabilité le patronat "bien de chez nous", le patronat français, qui est pourtant le vrai responsable identifié.

L'Union européenne, fauteuse de délocalisations?

La recherche des coûts salariaux les plus bas n'est pas le seul élément dans les choix des délocalisations. Celles-ci s'effectuent bien souvent en priorité vers les régions les plus riches, celles où se trouvent de vastes marchés. C'est ainsi que plus de 75% des filiales implantées en Europe par des entreprises françaises sont situées dans les pays voisins, où les salaires sont aussi élevés qu'en France, et parfois même davantage. Et cela, sans parler de ces délocalisations qui consistent à déplacer les emplois d'une région ou d'une ville à l'autre au sein du même pays, afin de profiter d'une fiscalité avantageuse, dans une zone franche par exemple, ou de faire monter les offres de subventions versées par les collectivités locales, dans une sorte de surenchère qu'utilisent certains patrons.

L'idée que l'Union en s'élargissant favoriserait les délocalisations ne correspond pas à la réalité. Union européenne ou pas, les patrons ont les mains complètement libres pour aller investir leurs capitaux où bon leur semble, c'est-à-dire là où ils en obtiendront le meilleur rendement. C'est là le fond du problème.

Les pays de l'ex-Europe de l'Est, par exemple, n'ont pas attendu d'être membres de l'Union pour être attractifs pour les capitaux des sociétés occidentales. De même, les capitalistes français qui investissent aux États-Unis, au Maghreb ou dans le Sud-Est asiatique ne sont pas gênés par le fait que ces pays n'appartiennent pas à l'Union. Et à l'heure actuelle, ce sont des nouveaux membres de l'Union eux-mêmes qui voient certaines entreprises se déplacer vers l'Ukraine, qui elle reste en dehors de l'Union et qui propose des salaires encore inférieurs à ceux des pays qui viennent d'y accéder.

Lorsqu'il était question de l'adhésion à cette Union européenne de l'Espagne et du Portugal en 1986, certains tenaient alors des raisonnements sur les dangers que ces pays à salaires faibles faisaient courir aux emplois "français". Pourtant, depuis, la majorité des travailleurs de France ont eu largement plus à pâtir de la rapacité de leurs patrons "nationaux" que de la concurrence des salariés d'Espagne ou du Portugal.

Pour lutter contre les délocalisations, il faut lutter contre le patronat

Le pire, pour les travailleurs, serait de croire que les délocalisations sont une fatalité; ou, ce qui n'est pas mieux, de penser que la seule manière de s'y opposer serait de faire cause commune derrière certains politiciens et derrière des patrons, pour conclure qu'il faudrait se réfugier derrière des barrières nationales pour protéger "notre" économie. Car ce n'est pas "notre" économie, à nous travailleurs, et le maintien des frontières n'est pas une protection pour les intérêts des salariés.

Les délocalisations ont la même cause que l'ensemble des licenciements: le droit sans entrave du patronat de disposer de ses capitaux, des emplois de ses salariés, et de les jeter à la rue s'il l'estime nécessaire. C'est ce droit que l'on peut et que l'on doit contester.

Le système capitaliste fonctionne grâce à la mise en concurrence des travailleurs, notamment des travailleurs des différents pays. Alors, pour les salariés, la meilleure manière de se défendre serait, s'inspirant du mot d'ordre "Prolétaires de tous les pays, unissez-vous!", d'empêcher les patrons de jouer sur les écarts de conditions de salaires, de travail et de protection sociale, en imposant qu'ils soient alignés par le haut. Dans toute l'Union européenne, pour commencer.

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