L’Europe s’élargit,mais à l’avantage surtout du grand patronat28/04/20042004Journal/medias/journalnumero/images/2004/04/une1865.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Editorial

L’Europe s’élargit,mais à l’avantage surtout du grand patronat

L'élargissement de l'Union européenne de 15 à 25 pays doit entrer en application le 1er mai. Que diminue le morcellement de l'Europe, on pourrait s'en réjouir. Ce qu'on appelle l'Europe n'est même pas un véritable continent mais l'extrémité ouest d'un même continent qui comprend l'Europe et l'Asie. Pourtant, sur ce territoire à peine plus grand en surface que celui des seuls États-Unis, coexistent aujourd'hui 40 États, plus les mini-États d'opérette, Monaco, le Vatican, San Marin, Andorre et le Lichtenstein.

Mais c'est la partie la plus anciennement industrialisée de la planète et une région où se sont accumulées les richesses tirées du travail de ses propres classes laborieuses mais aussi du pillage de la planète entière. C'est encore un continent dominé par la rivalité entre grandes puissances impérialistes, principalement la France, la Grande-Bretagne et l'Allemagne, rivalité qui a conduit à deux guerres mondiales au siècle dernier. Aucune de ces grandes puissances n'ayant pu imposer sa loi aux autres et unifier le continent sous sa domination, leurs classes possédantes ont fini par s'entendre pour créer un marché plus élargi que leurs marchés nationaux étriqués. Leurs grands patrons respectifs en avaient besoin pour faire face, dans la compétition internationale, à leurs rivaux américains ou japonais.

Cette unification a pris un demi-siècle pour passer, par élargissements successifs, de 6 pays à 15, pour arriver à 25. Mais, même à 25, elle n'inclut pas une grande partie de l'Europe, notamment des grands pays issus de la dislocation de l'Union soviétique comme la Russie ou l'Ukraine.

Les travailleurs pourraient se réjouir que s'affaiblissent les frontières qui séparent et opposent les peuples. Alors que les échanges sont mondiaux et qu'un nombre croissant de problèmes de l'humanité, à commencer par la préservation des mers ou de l'atmosphère, se posent à l'échelle planétaire, l'Europe ne devrait constituer qu'un seul pays depuis bien longtemps. On devrait pouvoir circuler librement, sans montrer ses papiers, s'installer pour vivre et travailler là où on veut, en bénéficiant de salaires et de protections sociales comparables.

L'unification européenne, faite par et pour les capitalistes, n'assure cependant que ce qui les intéresse: la liberté de placer leurs capitaux où et quand ils veulent, la liberté de vendre et d'acheter des marchandises, des entreprises et des hommes. Elle n'assure en revanche même pas un salaire minimum correct à l'échelle de l'Europe, pas plus qu'elle n'assure une harmonisation de la législation sociale par le haut. Elle n'assure pas les libertés élémentaires. Dans certains pays de l'Union par exemple, le divorce est interdit, dans d'autres il est interdit aux femmes d'accéder à l'IVG. Les trusts d'Europe occidentale n'ont même pas eu besoin de l'intégration de pays de l'Est dans l'Union européenne pour y investir librement en mettant la main sur des secteurs entiers de leur économie. La simple liberté de circulation n'est, en revanche, pas complètement accordée à leurs citoyens.

Les travailleurs n'ont rien à attendre de l'Union européenne, ni de son élargissement. Mais, contrairement à ce que prétendent les nationalistes de tous bords, ils n'en ont rien à redouter non plus. Les coups qui sont portés aux travailleurs ne le sont pas par l'Europe mais par leurs propres grands patrons et par leurs propres États qui les représentent. Ce n'est pas l'élargissement de l'Europe qui est responsable des délocalisations et des licenciements collectifs, mais les patrons qui y procèdent. Ce n'est pas l'Europe unie qui est à combattre, mais le grand patronat.

Le mieux que l'on puisse souhaiter de l'Union européenne, c'est qu'elle facilite même un tant soit peu les liens entre les classes ouvrières des différents pays et que, de ces liens, surgisse la conscience que, par-delà les frontières, les travailleurs constituent une seule et même classe ouvrière.

Et le 1er mai, début d'une Europe élargie, pourrait alors retrouver son sens véritable, celui de la Journée internationale des travailleurs.

Arlette LAGUILLER

Éditorial des bulletins d'entreprise du 26 avril 2004

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