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Diên-Biên-Phu 1954 : Le colonialisme français en échec
Le 13 mars 1954, il y a cinquante ans, les combattants vietnamiens lançaient l'assaut contre le camp retranché de Diên-Biên-Phu près de la frontière de l'actuel Laos. Le 7 mai, le corps expéditionnaire français, après 55 jours de combats acharnés, capitulait. Diên-Biên-Phu démontrait ainsi la capacité d'un peuple du Tiers Monde à battre une armée impérialiste, malgré l'énorme disproportion des moyens militaires.
Le lendemain même de la défaite française s'ouvrait à Genève la conférence de paix censée donner l'indépendance à l'Indochine et qui devait se terminer par sa division en quatre pays, le Laos, le Cambodge et les deux Viêt-nam, du Nord et du Sud, avec la promesse d'élections rapides pour réunifier le Viêt-nam. Cette promesse non tenue allait entraîner la seconde guerre du Viêt-nam, menée cette fois contre les États-Unis et qui se termina en 1975. Il fallut ainsi près de 30 ans de guerre pour que le peuple vietnamien accède à l'indépendance nationale.
Le colonialisme français à l'oeuvre
Depuis le milieu du 19e siècle, les peuples d'Indochine payaient -et combien lourdement- leur tribut au colonialisme français. Les colons pillaient le pays et mettaient la main sur ses richesses. Dans la plus grande mine d'anthracite à ciel ouvert du monde 40000 ouvriers travaillaient de 12 à 14 heures par jour. Dans les forêts d'hévéas d'Indochine la famille Michelin commençait à engranger les profits qui firent d'elle le trust mondial qu'on connaît. La population, elle, vivait dans la misère. Le riz, richesse naturelle du pays, était destiné au marché international et la disette était devenue au Viêt-nam un fléau permanent, sans parler des famines (on évoque pour celle de 1944 le chiffre de deux millions de morts). Les paysans, saignés par les taxes de l'administration coloniale, chassés de leurs terres, étaient exploités par des colons dont les 700 plus riches possédaient près de 20% des terres.
La révolte anticoloniale
Tant de souffrances ne pouvaient qu'entraîner des révoltes qui, tout au long des années 1930, furent férocement réprimées. Pour les 26 millions de Vietnamiens, la fameuse «mission civilisatrice de la France» voulait dire tortures, bagnes, -comme celui de sinistre réputation de Poulo Condor- et répression féroce de toute manifestation: pour avoir diffusé un tract... deux ans de prison; pour avoir déployé une banderole réclamant l'indépendance... neuf ans.
Mais en Indochine, comme ailleurs, le joug colonial fit lever des générations de militants qui engagèrent la lutte pour l'indépendance. Au Viêt-nam, le Parti Communiste Indochinois (PCI) réussit à en prendre la tête. Créé en 1930, il adhéra à la IIIe Internationale, déjà dominée par le stalinisme et qui imposa rapidement à ses organisations des pays coloniaux de défendre une politique nationaliste. Aussi, en 1941, le PCI se transforma en Ligue pour l'Indépendance du Viêt-nam (Viêt-minh, en vietnamien) et impulsa la création de semblables ligues nationalistes au Cambodge et au Laos.
En octobre 1945, après le départ des troupes japonaises vaincues, Ho Chi Minh, le principal dirigeant du Viêt-minh, proclama l'indépendance du Viêt-nam et chercha à la faire accepter par l'impérialisme français.
En même temps, les staliniens vietnamiens n'hésitaient pas à réprimer sauvagement les deux groupes trotskystes, La Lutte créée en 1931 par Ta Tu Thau et la Ligue Communiste Internationale (LCI). Le Parti Communiste stalinien voulait écraser ces militants qui risquaient de le concurrencer sur un terrain révolutionnaire. Au moment où les troupes japonaises quittaient l'Indochine, le Viêt-minh appela au calme et traita de «saboteurs et de provocateurs ceux qui invitent le peuple à s'armer», c'est-à-dire les trotskystes de la LCI. Ceux-ci militaient pour remettre le pouvoir aux comités populaires et aux milices armées qui commençaient à se former dans le sud du Viêt-nam, où des paysans occupaient des terres et des ouvriers leurs usines. Face au risque d'un soulèvement anticolonial et révolutionnaire, les staliniens liquidèrent la LCI et le groupe La Lutte, assassinant militants et dirigeants. Ta Tu Thau fut exécuté en 1946.
1946: la première guerre d'Indochine
Le Viêt-minh espérait démontrer ainsi ses capacités de représentant de la bourgeoisie vietnamienne, et d'interlocuteur pour l'impérialisme. Mais malgré ces démonstrations, l'impérialisme français n'entendait pas, lui, abandonner ce qu'il appelait «la perle» de son empire colonial. Dès qu'il en eut les moyens militaires, il réoccupa le pays, y compris le Nord où le Viêt-minh avait pris le pouvoir. En novembre 1946, la marine française bombarda Haïphong, faisant plus de 6000 morts. La première guerre d'Indochine commençait.
Le Viêt-minh organisa la résistance et gagna l'appui de milliers de paysans, d'hommes et de femmes décidés à lutter jusqu'à la victoire, pour la réforme agraire et l'indépendance. Début 1954, il contrôlait près de la moitié du pays et les troupes françaises uniquement les grandes villes. Ho Chi Minh sut aussi obtenir le soutien matériel de la Chine de Mao, inquiète de l'engagement des Américains. En 1953, ces derniers payaient 40% des dépenses de la guerre et leurs conseillers étaient omniprésents.
Un peuple en lutte
Le Viêt-minh, était devenu capable d'opposer au corps expéditionnaire français une véritable armée, dirigée par Giap. L'état-major français espérait la «saigner», en l'obligeant à accepter une bataille décisive à Diên-Biên-Phu qui serait un «Verdun tropical». Mais c'était oublier que le Viêt-minh pouvait s'appuyer sur tout un peuple mobilisé. Si à Diên-Biên-Phu il y eut 50000 soldats vietnamiens pour s'opposer aux 10000 soldats français, il y eut aussi près de 260000 Vietnamiens pour assurer le ravitaillement et l'armement des troupes. Leur détermination eut raison de la supériorité matérielle énorme de l'armée française.
Le général en chef français De Castries avait choisi de combattre à Diên-Biên-Phu car il était certain qu'avec ses deux pistes d'aviation, son armée serait ravitaillée sans problème, alors que l'armée du Viêt-minh n'aurait aucun moyen d'acheminer dans cette région montagneuse, au relief difficile, hommes et matériel. Et malgré les 200 vols de ravitaillement aérien par jour au plus fort de la bataille, il ne put empêcher les Vietnamiens de le piéger dans son camp retranché. Les soldats de Giap franchirent 400 km, remorquant des pièces d'artillerie et de DCA de deux tonnes parfois, tractées par des camions quand il y avait des routes puis tirés à bras ou portés sur des bicyclettes, en pièces détachées, dans les montagnes. Il leur fallut creuser à flanc de montagne douze kilomètres de routes, passer trois cols, dont le franchissement leur demanda près de trente nuits. Le jour, il fallait assurer le camouflage et se terrer dans des trous pendant les bombardement au napalm -déjà- de l'aviation française.
Le 13 mars 1954, l'attaque commença et des milliers de Vietnamiens se jetèrent à l'assaut des fortins tandis que, à la stupéfaction de l'état-major français, l'artillerie Viêt-minh pilonnait les deux pistes d'aviation. En construisant un réseau dense de tranchées, les Vietnamiens purent se protéger des bombardements et s'approcher au plus près des forts qu'ils prirent d'assaut au prix de sacrifices inouïs.
Le 7 mai, la garnison dut capituler: le Viêt-minh fit près de 10000 prisonniers dont le parachutiste Bigeard.... L'impossible s'était produit: une armée de paysans avait vaincu une des plus fortes armées de métier du monde.
Les responsabilitésde l'impérialisme
Vaincu, l'impérialisme français laissait cependant un lourd héritage en Indochine. Le pays allait encore connaître une seconde guerre. Aujourd'hui, le Viêt-nam est réunifié et indépendant mais, pour beaucoup, il évoque les boat people, fuyant sur des bateaux de fortune, une dictature et la misère.
Les peuples de l'ex-Indochine, Viêt-nam, Cambodge et Laos n'en ont certes pas fini avec le sous-développement et l'arbitraire. La politique du Viêt-minh, puis de son successeur le FNL, a conduit au pouvoir les représentants de la petite bourgeoisie nationaliste, en écrasant les trotskystes qui auraient pu ouvrir la voie vers d'autres développements révolutionnaires et vers le pouvoir du prolétariat. C'aurait été, peut-être, une tout autre histoire. Mais la situation présente s'explique d'abord par l'état dans lequel ces pays se sont retrouvés après cent ans de colonisation française et trente ans de guerre et la responsabilité des impérialismes français et américain est écrasante.