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Dans le monde
Irak : L'occupation alimente l'escalade intégriste
Les affrontements se multiplient en Irak. Cette fois, il ne s'agit plus d'embuscades ou d'attentats terroristes réalisés par des commandos armés clandestins. Car à Falluja, comme à Bagdad, Nadjaf, Nassiriya et Bassora dans les jours qui ont suivi, ce sont des centaines de combattants armés qui ont affronté ouvertement les forces d'occupation avec, semble-t-il, l'assentiment d'une partie au moins de la population.
Le 3 avril, les images insoutenables, largement diffusées par la télévision, des quatre "sous-traitants" américains (en fait, des mercenaires) brûlés vifs et mutilés à Falluja sous les acclamations de la foule, avaient déjà donné la mesure de la haine que la politique des dirigeants occidentaux a engendrée en un an d'occupation. La brutalité des représailles lancées depuis contre la ville et la violence des affrontements qu'elles ont entraînés ne peuvent que creuser encore plus ce fossé de haine.
Les événements qui ont suivi à partir du 4 avril ont montré que ce potentiel explosif existait bien au-delà du fameux "triangle sunnite" où se trouve Falluja. En effet, en fermant l'hebdomadaire al-Hawza, organe du leader intégriste Moqtad al-Sadr, pour "incitation à la violence", puis en faisant arrêter treize de ses partisans, le proconsul américain Paul Bremer a offert à al-Sadr un moyen de se poser en leader du mouvement d'opposition à l'occupation américaine. Al-Sadr s'est aussitôt emparé de ce prétexte pour appeler à des manifestations de protestation dans les grandes villes chiites et à Bagdad.
À Bagdad, le 4 avril, plusieurs milliers de manifestants se sont rassemblés au centre-ville à l'appel d'al-Sadr. Prises, semble-t-il, au dépourvu, les autorités américaines ont donné l'ordre aux soldats irakiens de tirer dans le tas. Et tandis que les manifestants refluaient vers le quartier chiite de Sadr City, les tanks et hélicoptères américains ont pris la relève en tirant sur les fuyards. Selon les estimations fournies par les hôpitaux à la presse étrangère, 47 Irakiens auraient trouvé la mort dans ces fusillades.
Mais cette fois-ci, la milice armée de Moqtada al-Sadr, "l'armée du Mehdi", qui jusque-là se contentait de patrouiller les rues en évitant prudemment tout contact avec les troupes d'occupation, est intervenue. Les miliciens intégristes ont occupé les commissariats de police et les édifices publics de Sadr City. Ce faisant, jouant sur la colère de la population, ils se sont efforcés d'apparaître comme ses seuls véritables "défenseurs" face à l'occupant -même si cette "défense" était très symbolique, puisque les miliciens se sont repliés en bon ordre, après vingt-quatre heures d'occupation, sans attendre que les troupes américaines donnent l'assaut.
À Nassiriya et à Nadjaf, les miliciens de l'armée du Mehdi sont intervenus en armes, à l'occasion de manifestations similaires, sous prétexte de "protéger" les manifestants contre les balles de soldats espagnols et italiens. En revanche, à Bassora, le 4 avril, les miliciens ont vainement tenté de transformer des marches de chômeurs en manifestations de soutien à al-Sadr. Mais dès le lendemain, ils occupaient le palais du gouverneur, avec l'appui des policiers irakiens en faction, tandis que l'armée britannique s'abstenait d'intervenir, sans doute par crainte de voir se multiplier ces manifestations anti-anglaises.
Depuis que ces affrontements ont commencé, Bremer a ressorti de ses cartons un mandat d'amener contre al-Sadr pour le meurtre d'un imam, arrivé au début de l'occupation dans les wagons américains. Du coup, de champion de la lutte contre l'occupant, al-Sadr, aujourd'hui barricadé dans une mosquée défendue par ses partisans, peut se poser en martyr.
Pour l'instant, al-Sadr et son courant d'intégristes "radicaux" n'en est encore sans doute qu'à recruter et à étendre son influence. Mais ils ne peuvent le faire qu'au dépens des factions intégristes plus établies et plus compromises avec les autorités d'occupation, et donc en se livrant à une surenchère constante qui les fasse apparaître plus radicaux face aux forces d'occupation.
En l'absence d'une perspective radicale représentant réellement les intérêts des classes pauvres, la politique de l'impérialisme est peut-être en train de pousser les masses dans les bras d'un imam réactionnaire comme al-Sadr, c'est-à-dire de leur pire ennemi.