Allemagne : Après la journée du 3 avril08/04/20042004Journal/medias/journalnumero/images/2004/04/une1862.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Dans le monde

Allemagne : Après la journée du 3 avril

C'est sous le thème "Debout pour qu'enfin cela aille mieux" que la Confédération des Syndicats Allemands (DGB), ainsi que diverses associations de chômeurs ou initiatives locales ont organisé trois manifestations régionales (à Berlin, Stuttgart et Cologne) dans le cadre de la journée d'action syndicale européenne du 3 avril. Ces rassemblements ont regroupé au total environ 400000 participants.

C'est certes un succès, même s'il demeure limité pour un pays qui compte plus de 82 millions d'habitants. Pour une fois le DGB, qui, depuis un an que l'Agenda 2010 -ce plan d'attaques tout azimut contre les chômeurs, les retraités et la Sécurité sociale, engagées par le gouvernement social-démocrate- a été annoncé, n'avait organisé aucune riposte centralisée, a donc mis ses forces au service de la mobilisation. Dans leurs discours, les dirigeants syndicaux ont dénoncé le plan. À Berlin, le président du DGB, Michael Sommer, a dit que la journée devait être comprise comme "un signal à ceux qui dirigent, afin qu'il soit mis fin à la politique asociale". À Stuttgart, le dirigeant du syndicat des travailleurs des services a menacé: "Cela peut devenir le début d'un véritable mouvement populaire". Mais ils n'ont rien proposé de concret pour la suite. Tout le problème est pourtant là.

Le soir même, à la télévision, Franz Müntefering, le nouveau président du Parti Social-démocrate SPD (auquel le chancelier Gerhard Schröder a laissé sa place il y a quelques semaines, pour tenter d'éviter que le parti ne soit trop atteint par le discrédit gouvernemental) déclarait que les syndicats se trompaient d'ennemi et que les "réformes" allaient se poursuivre. Comme va se poursuivre la campagne engagée par le patronat pour remettre en cause les accords salariaux et, en particulier, augmenter la durée du travail... sans augmentation de salaire. Il est encouragé en ce sens par le ministre SPD de l'Économie, Wolfgang Clement, qui s'est lui-même prononcé pour un allongement général du temps de travail. Selon lui, "deux heures de travail de plus par semaine rendraient les entreprises plus concurrentielles". Une situation déjà dépassée à la Poste où le temps de travail est revenu, en 2003, à 48 heures par semaine. Chez Siemens, le premier employeur d'Allemagne, le patron fait, à l'heure actuelle, un chantage, en menaçant de délocaliser certaines usines si les salariés n'acceptent pas de travailler plus. C'est aussi le cas dans le secteur public, où les patrons (c'est-à-dire les autorités des Länder et des communes) réclament un allongement de la durée du travail, de 38,5 à 40 heures. Et la Bavière vient juste de passer à 42 heures.

Il est évident pour tous les travailleurs combatifs que, si l'on veut mettre un coup d'arrêt à ces attaques, il faut hausser le ton. Par exemple, en appelant à une journée de grève interprofessionnelle comme le réclament un certain nombre de syndicalistes. Des journées d'action sans lendemain peuvent être inefficaces, mais elles pourraient aussi être une étape dans la mobilisation.

En Allemagne, les derniers mouvements sociaux importants remontent en fait aux années d'après-guerre. La période 1948-1952, en particulier, a été marquée par des grèves dures, combatives. Après les destructions de la guerre, la classe ouvrière, qui voyait la plupart des mêmes trusts qui avaient fait fortune sous le nazisme continuer à faire des affaires juteuses, relevait la tête et n'acceptait pas d'être réduite au rationnement et aux salaires de misère.

Mais au début des années 1950, tout en profitant de la Guerre Froide pour faire la chasse aux militants combatifs (et en particulier à ceux du Parti Communiste), la bourgeoise allemande chercha à lier encore plus les syndicats à ses intérêts et à s'assurer ainsi la paix sociale. Les dirigeants syndicaux acceptèrent, eux, de jouer le jeu, en échange de strapontins qui leur furent octroyés dans les conseils d'administration des grandes entreprises, dans le cadre de la cogestion. Et, progressivement, ils ont accepté de n'organiser des grèves que dans le cadre du renouvellement des conventions collectives. Cela a contribué à persuader bien des travailleurs qu'on ne peut pas envisager d'action dépassant ce cadre, que les autres grèves seraient "politiques" et donc interdites, ce qui n'est d'ailleurs pas vrai, même sur un plan strictement juridique.

Une journée de grève interprofessionnelle serait-elle couronnée de succès? Entraînerait-elle la grande masse des travailleurs? En tout cas, ne rien proposer ne pourrait que renforcer le découragement et l'idée qu'on ne peut rien faire, et ouvrir la porte à de nouvelles attaques. En tout cas, le mécontentement est profond dans la population laborieuse. Un sondage récent de l'institut Forsa en témoigne, qui indique que 73% des Allemands -toutes catégories sociales confondues, donc- trouvent les réformes "socialement injustes". Il serait indispensable de préparer et d'organiser une riposte à la hauteur des attaques. Il existe de nombreux travailleurs et secteurs combatifs; les nombreuses manifestations ou grèves locales qui ont eu lieu un peu partout en Allemagne depuis le mois de septembre en témoignent, et ils pourraient contribuer à entraîner les autres.

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