Les résultats du deuxième tour : Pas une radicalisation de l'électorat01/04/20042004Journal/medias/journalnumero/images/2004/04/une1861.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Leur société

Les résultats du deuxième tour : Pas une radicalisation de l'électorat

Le succès des listes de la gauche parlementaire au deuxième tour des élections régionales, le 28 mars, est d'autant plus spectaculaire que la nouvelle loi électorale, en écartant au premier tour les listes n'ayant pas obtenu 10% des suffrages, et avec sa prime de 25% des sièges à la liste ayant la majorité, fut-elle relative, lui donne la certitude de présider les Conseils régionaux même là où elle n'a pas obtenu la majorité absolue (cas des régions Centre, Champagne-Ardenne, Ile-de-France, Lorraine, Basse-Normandie, Picardie, Provence-Alpes-Côte d'Azur et Rhône-Alpes).Il n'en reste pas moins que pour la première fois depuis 1981 la gauche se trouve avoir la majorité absolue dans le pays à une élection autre que présidentielle.

On ne peut pas pour autant parler de radicalisation de l'électorat, car l'analyse des résultats prouve que ce succès électoral est dû au renfort de nombreux électeurs qui avaient voté à droite, voire à l'extrême droite, au premier tour. Les chiffres parlent d'eux-mêmes: dans l'Hexagone, on a enregistré le 28 mars 1511100 suffrages exprimés de plus qu'au premier tour, alors que les listes conduites par le Parti Socialiste ont recueilli plus de trois millions de voix de plus que le total des listes de gauche au premier tour. À supposer même que les électeurs qui ont voté pour les listes LO-LCR au premier tour aient apporté au second leurs voix au Parti Socialiste (ce qui est sans doute vrai en partie, mais en partie seulement), et que tous les abstentionnistes du premier tour qui ont participé au second aient également voté pour la gauche (ce qui ne peut pas non plus être vrai), il resterait encore plus de 500000 voix provenant d'électeurs ayant voté à droite ou à l'extrême droite au premier tour.

Parallèlement, on peut noter que la droite est bien loin d'avoir fait partout au second tour le plein des voix qu'elle pouvait espérer recueillir à partir des résultats du premier (en incluant dans cette droite les "chasseurs" et les écologistes à la Waechter ou à la Lalonde). En effet, dans huit régions, en dépit d'une participation plus élevée, elle ne recueille même pas le total des voix de droite du premier tour, le cas le plus spectaculaire étant celui de l'Aquitaine, région où la liste UDF de Bayrou s'était opposée à celle de l'UMP, et territoire d'élection de "Chasse, pêche, nature et tradition", où le déficit de la liste de droite, par rapport aux espérances qu'elle avait pu avoir après le premier tour a été de plus de 90000 voix.

Que le vote anti-UMP ait aussi touché l'électorat de l'extrême droite est particulièrement visible dans les quatre régions (Auvergne, Bretagne, Limousin et Pays de la Loire) où le Front National a été éliminé dès le premier tour. Sur l'ensemble de ces quatre régions, la droite, rien qu'en recueillant les voix de l'extrême droite, aurait dû obtenir au second tour près de 1,9 million de voix. En fait, elle n'en a obtenu qu'à peine plus de 1,7million (alors même que la participation électorale était plus forte). Près de 200000 voix ont donc migré, selon toute vraisemblance, de l'extrême droite à la gauche.

Là où le Front National a pu se maintenir, le phénomène est aussi parfaitement visible dans certaines régions: en Rhône-Alpes, il manque à la liste FN, conduite par un des leaders nationaux de ce parti (Gollnisch), plus de 69000 voix pour atteindre le total des résultats de l'extrême droite au premier tour, près de 34000 pour retrouver ceux de la seule liste Front National.

Les électeurs qui ont abandonné le FN ont sans doute voté en partie pour la liste UMP. Mais pas tous, comme le prouve le cas de l'Île-de-France où il manque plus de 96000 voix à Marine Le Pen pour retrouver le total des voix de l'extrême droite du premier tour, plus de 53000 pour retrouver ses propres voix, alors que la liste UMP progresse de moins de 3000 voix par rapport à l'ensemble des voix de droite du premier tour.

Notons cependant qu'il y a quatre régions où le FN progresse par rapport aux résultats de l'extrême droite du premier tour. C'est en particulier le cas du Nord-Pas-de-Calais où il gagne près de 26000 voix.

Globalement, on peut donc dire que l'ampleur du succès du Parti Socialiste dans ces élections est dû pour une large part au fait qu'une partie de l'électorat de droite et d'extrême droite a préféré lui apporter ses suffrages, plutôt que de voter pour les listes de l'UMP. Cela rappelle l'élection de Mitterrand à la présidence de la République en 1981 (où une partie de l'électorat chiraquien l'avait préféré à Giscard) et en 1988 (où une partie des électeurs de Barre et de Le Pen l'avait préféré à Chirac). Et ces glissements électoraux sont d'autant plus faciles qu'entre la politique que mènent la droite et la gauche parlementaire quand elles sont au gouvernement, la différence est mince.

Quant au retour vers le vote en faveur du Parti Socialiste de toute une partie de l'électorat populaire qui l'avait abandonné en 2002, il s'agit avant tout d'un vote destiné à sanctionner Chirac et Raffarin, bien plus que d'une marque de confiance retrouvée envers Hollande et ses amis. Une différence essentielle avec l'élection de Mitterrand en 1981 est d'ailleurs le peu d'illusions que se fait l'électorat populaire sur ce que le retour du Parti Socialiste au gouvernement pourrait lui apporter.

Mais les travailleurs n'ont pas dit leur dernier mot. Et si le gouvernement continue son offensive contre les travailleurs, comme Raffarin en a manifesté l'intention dès dimanche soir, il pourrait bien apprendre que la sanction par les urnes n'est rien à côté de celle qui se manifeste par les luttes sociales.

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