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Dans le monde
Irak : La montée de l'intégrisme, sous-produit d'une sale guerre
Il ne reste plus que trois mois avant le 30 juin, date à laquelle Bush a promis à son opinion publique de remettre le pouvoir à un gouvernement irakien qu'il a dûment sélectionné. Mais si une partie de cette opinion publique espérait que cette promesse mettrait fin à la longue liste des soldats américains morts en Irak, il va lui falloir déchanter.
Car il n'est déjà plus question que la date du 30 juin marque aussi le début d'un retrait progressif des GI's. Officiellement, on dit maintenant à Washington que le gouvernement provisoire irakien aurait d'ores et déjà "demandé" le maintien de 120000 soldats américains dans le pays. Il ne s'agirait donc plus d'occupation mais de prêter main-forte à un "gouvernement ami". L'hypocrisie est grossière, d'autant qu'elle ne peut que rappeler les mensonges qui servirent à justifier l'enlisement américain dans la guerre du Vietnam.
Bien sûr, on pouvait s'y attendre. Bush peut bien faire des promesses pour les besoins de sa campagne présidentielle, cela ne change rien à la réalité de la situation sur le terrain. Même si les morts sont devenus moins fréquents dans les rangs des troupes américaines, depuis que celles-ci se terrent dans leurs campements en laissant les postes exposés à la police irakienne, ce n'est pas pour autant que la guerre larvée que mènent les opposants à l'occupation occidentale a perdu de son intensité. Et les perspectives de profits des entreprises impérialistes restent toujours aussi aléatoires, autant que la stabilité politique du pays.
La situation à Bassora
À cet égard, la situation à Bassora, capitale du Sud sous occupation britannique, est d'autant plus significative que cette ville est souvent présentée comme un "havre de paix" et de "démocratie" par comparaison avec Bagdad. Or, depuis le début du mois de mars, les attentats contre les forces britanniques s'y multiplient et la tension monte dans les villes de la zone d'occupation britannique.
Les manifestations contre le chômage et l'absence d'alimentation régulière en eau et en électricité dans les quartiers populaires de la ville font depuis longtemps partie du quotidien à Bassora et dans les villes avoisinantes. Mais ce qui est plus nouveau, c'est que ces manifestations sont de plus en plus souvent l'occasion d'affrontements où la population s'en prend aux soldats et blindés anglais en se servant de pierres et de tout ce qui peut lui tomber sous la main.
Ce qui est nouveau également, ce sont les affrontements entre soldats anglais et militants de groupes intégristes locaux, tels que ceux qui se sont produits le 29 mars, lorsque l'armée britannique a voulu déloger l'un de ces groupes, Thaar Allah (la "Revanche de Dieu") des locaux officiels qu'il occupait dans le centre de la ville. L'opération a déclenché une manifestation hostile de la population, entraînant de nouveaux affrontements.
Il faut dire que depuis le début de l'occupation l'état-major britannique a fait le choix de s'appuyer sur certaines milices intégristes, dont la brigade Badr, l'aile militaire du Conseil Suprême de la Révolution Islamique (CSRI), l'une des deux principales formations intégristes chiites en Irak. Les occupants ont laissé le soin aux brigadistes de maintenir l'ordre, en particulier dans les quartiers populaires, et ils ont fermé les yeux lorsque les leaders du CSRI se sont servis du rapport de force ainsi institué sur le terrain pour occuper des postes clés laissés vacants par le départ forcé des anciens fonctionnaires du Baas. Ainsi le CSRI s'est-il emparé de l'administration de la plupart des hôpitaux et de la direction des universités, tandis que des hommes des brigades Badr s'installaient de façon pratiquement ouverte dans la nouvelle police irakienne recrutée par les Anglais.
Les groupes intégristes encouragés
Encouragés par cette situation, les groupes intégristes islamistes rivaux se sont multipliés dans la région, pour atteindre aujourd'hui une trentaine. Ainsi ont fait leur apparition les disciples de Muqtada al Sadr, le leader intégriste qui a fait son bastion du gigantesque taudis chiite de Bagdad, connu hier sous le nom de Saddam City et devenu aujourd'hui Sadr City. Les sbires de Sadr ont jeté leur dévolu sur les quartiers les plus pauvres, organisant le ramassage des ordures ou encore distribuant des colis de vivres, mais aussi organisant des patrouilles en armes sous prétexte de lutter contre l'insécurité. Et ce sont ces patrouilles qui auraient commis un certain nombre de meurtres pour imposer la fermeture des débits d'alcool et l'arrêt de la vente de vidéos.
Pendant ce temps, dans les universités, où la campagne d'islamisation de Saddam Hussein n'avait pas empêché la moitié des étudiantes de refuser de porter le voile avant l'invasion, les bandes islamistes occupent le haut du pavé, insultant les étudiantes qui ne se plient pas à leurs diktats moyenâgeux -au point que celles qui résistent ne représentent plus aujourd'hui qu'à peine plus de 25% de l'effectif féminin.
Tout cela s'est fait non seulement sous les yeux des autorités britanniques, mais avec leur aide. Gareth Jenkins, un ancien administrateur pénitentiaire anglais chargé du maintien de l'ordre au sein de l'autorité d'occupation, constate maintenant que "c'était une erreur" et ajoute: "Nous en payons le prix aujourd'hui". Car la recrudescence des attentats visant l'armée britannique, mais aussi nombre d'institutions civiles, est de toute évidence due à la surenchère de plus en plus marquée entre groupes intégristes, y compris la brigade Badr qui se serait servie de ses positions au sein de la police pour assurer les arrières de ses propres bandes armées.
Dans ces conditions, parler d'un règlement politique prochain en Irak relève d'un cynisme sans nom. Avec cette guerre, l'impérialisme anglo-américain a créé en Irak un chaos sanglant dont on voit mal comment la population va pouvoir s'extirper dans un avenir prévisible. Que l'occupation occidentale continue ou qu'elle cesse, les masses irakiennes risquent de se trouver prises entre deux feux -entre les bandes armées de l'impérialisme et celles de ses avatars intégristes. Et c'est bien là tout ce que ce système impérialiste pourrissant est capable d'offrir aux populations d'un pays comme l'Irak.