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Espagne : Le massacre du 11 mars et les tentatives de manipulation d'Aznar
Le choix des auteurs de l'attentat du 11mars de poser de nombreuses bombes dans des trains de banlieue surchargés, de façon qu'elles explosent entre 7h30 et 8heures du matin et si possible lors de leur entrée dans la plus grande gare de Madrid, était fait pour causer le maximum de victimes. Ces trains transportaient des milliers de travailleurs, d'étudiants, d'enfants, vers leur lieu de travail ou d'études.
Très vite, le nombre de victimes annoncées n'a cessé de croître pour atteindre 200 morts et plus de 1400 blessés. Ce massacre, au coeur de Madrid, autour de la gare d'Atocha, où tous les quarts d'heure arrivent les trains venant des banlieues ouvrières de la capitale, a porté des scènes de guerre au coeur du Madrid populaire. Chacun s'est retrouvé plongé au milieu de scènes horribles, avec des cadavres, des blessés, des destructions, des scènes que l'on ne voit d'habitude qu'à la télévision. Pour la première fois depuis la guerre civile, la population a été confrontée directement à la mort massive d'innocents, de travailleurs, de femmes de ménage, d'employés, d'étudiants. Il s'agissait de gens modestes se rendant au travail; 30% d'entre eux étaient d'ailleurs des travailleurs immigrés, venus d'Amérique du Sud, du Maghreb ou d'Europe de l'Est. Cet épouvantable massacre a consterné la population de Madrid et de tout le pays.
Aussitôt, comme c'est leur réaction habituelle, les médias ont attribué cet attentat à ETA, l'organisation terroriste basque. Mais le ministre de l'Intérieur, Acebes, a rapidement confirmé, appuyé par le chef du gouvernement Aznar et le candidat du Parti Populaire, Rajoy. Le gouvernement avait rapidement fait le choix d'affirmer que seule ETA pouvait avoir commis cet attentat, parce que c'était l'hypothèse qu'il pouvait tenter d'exploiter électoralement, deux jours avant les élections du 14mars.
Pourtant, si ETA a pu commettre ces dernières années des attentats atroces y compris contre la population civile, l'organisation de celui-ci ne correspondait pas à ses pratiques habituelles, et l'hypothèse qu'il ait été le fait de groupes intégristes islamistes, désireux de faire payer à la population espagnole l'engagement d'Aznar derrière George Bush en Irak, était dès le début au moins tout aussi crédible.
Mais pendant trois jours, le gouvernement et le Parti Populaire ont continué à désigner ETA, au point de tenter de masquer ce qui devenait de plus en plus évident avec les progrès des investigations de la police: le fait que c'était sans doute un groupe d'intégristes islamistes de la mouvance d'Al-Qaida qui avait commis cet horrible attentat. D'autre part, dès les premières heures du 11mars, Otegi, le porte-parole de Batasuna, le parti politique lié à ETA, avait condamné l'attentat. Le journal Gara, proche des basques radicaux, s'était également démarqué de l'attentat et l'avait condamné. Mais il fallut attendre la nouvelle de la découverte d'une fourgonnette contenant une cassette en arabe et des détonateurs, stationnée aux abords de la gare de départ d'un des trains, pour que le gouvernement commence à parler d'une piste intégriste.
Cette attitude du gouvernement allait ajouter, à la douleur et à l'indignation de la population, son exigence de connaître la vérité. La manoeuvre du Parti Populaire, cherchant à utiliser le drame pour manipuler l'opinion en désignant ETA comme responsable, devenait trop évidente. Et cela pour ne pas avouer que le terrorisme qui frappait Madrid était selon toute probabilité une réponse à la politique belliciste de Aznar, qui s'était engagé derrière les États-Unis dans la guerre en Irak contre l'avis de 80% de la population, une population qui avait à l'époque manifesté massivement son désaccord.
Le lendemain de l'attentat, le vendredi 12 mars, le gouvernement appelait la population à manifester pour exprimer sa condamnation de cet acte barbare, mais tout en cherchant à utiliser ces manifestations pour affirmer l'unité du pays derrière lui. Les manifestations devaient être silencieuses et se dérouler derrière une seule et unique banderole: "Avec les victimes, avec la Constitution, pour écraser le terrorisme". L'immense majorité défila silencieusement comme l'imposait la droite, mais aussi le PSOE et Izquierda Unida qui, eux aussi, appelaient à l'union derrière le gouvernement et le roi. Mais de nombreux manifestants tenaient dès ce moment à protester contre les manipulations et les mensonges du gouvernement qui commençaient à devenir visibles. Dans beaucoup de villes, et notamment à Madrid, des milliers de manifestants crièrent: "Qui est-ce?", voulant savoir avant les élections quels étaient les auteurs de l'attentat. À Barcelone, les cris étaient: "Non à la guerre", "Madrid, Bagdad, victimes de la même guerre", "Al-Qaida coupable, Aznar responsable". Les travailleurs des chantiers navals d'Iznar, en Andalousie, qui se sont affrontés ces dernières semaines avec la police, avaient déployé sur le chantier une banderole: "Aznar, voilà ce que tu as obtenu avec la guerre en Irak: 1442 blessés et 200 morts."
Le Parti Populaire n'aura donc pas réussi, à la veille du scrutin, à occulter les résultats de l'enquête. Une bonne partie de l'opinion pouvait déjà faire le lien entre l'engagement d'Aznar aux côtés de Bush et l'attentat du 11mars. On le vit encore tout au long du samedi 13mars, lorsque les manifestations se multiplièrent spontanément dans de très nombreuses villes d'Espagne, devant les sièges du Parti Populaire, accusant celui-ci de mentir et de manipuler l'information, et conspuant ses dirigeants.