Air France : Pleure pas la bouche pleine !26/02/20042004Journal/medias/journalnumero/images/2004/02/une1856.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Leur société

Air France : Pleure pas la bouche pleine !

"Bonnes performances au 3e trimestre" titrait, le 18 février, le bulletin d'information de la direction d'Air France. Elle qui, d'habitude, cocoricotte à tout-va sur son taux de remplissage le plus élevé en Europe, sur ses bénéfices en hausse, a pour une fois fait dans la quasi-modestie.

Plus 24,2% de bénéfice !

Qu'on en juge: son bénéfice trimestriel net avant impôts, de 41 millions d'euros, et c'est elle qui l'écrit, a augmenté de... 24,2% sur un an. Excusez du peu, surtout quand ses principaux concurrents, British Airways et Lufthansa, connaissent des difficultés.

Qu'Air France se porte bien, nul n'en doute. En tout cas, pas la Bourse où le cours de son action croît dans l'attente d'une privatisation, entamée sous Jospin, que Raffarin a promis d'achever. D'autant plus que l'absorption, à terme, de la compagnie néerlandaise KLM par Air France, à laquelle les autorités européennes viennent de donner leur feu vert, promet aux actionnaires des deux compagnies de coquets bénéfices supplémentaires, le groupe Air France-KLM devenant le premier en Europe et l'un des tout premiers au monde.

Seulement voilà, à trop vanter ses succès, la direction pourrait finir par donner des idées à ses salariés qui voient leur paie gelée de fait depuis une dizaine d'années et qui savent que, pour les nouveaux, le salaire d'embauche est bien inférieur en pouvoir d'achat à ce qu'il était il y a dix ans (la perte estimée est de 20%).

Les "low cost" ont bon dos

La dernière trouvaille de la direction, qui ne peut plus guère invoquer ses concurrentes européennes comme elle l'a fait pendant des années, c'est de crier à la concurrence (bien sûr déloyale, selon elle) des compagnies "low cost" (à bas coûts), les Ryanair et autres EasyJet. C'en serait presque comique d'entendre la direction s'indigner de ce que ces "low cost" soient subventionnées ce qu'elles sont... comme toutes les autres, Air France compris. Il ne faudrait pas l'oublier, celle-ci a aussi reçu d'un gouvernement socialiste 20 milliards de francs d'argent public pour la "recapitaliser", c'est-à-dire pour la rendre plus appétissante avant de lancer sa privatisation!

Les travailleurs se rebiffent

En fait, si dans le baratin de la direction les "low cost" ont désormais remplacé British Airways, le fond de l'argumentaire reste le même. Profits ou pas, les salariés d'Air France devraient encore et toujours se serrer la ceinture. C'est ainsi, au mois de mars, que la direction lance un énième plan d'économies. D'ici à 2007, elle veut abaisser ses coûts unitaires de plus de 6% par an et récupérer un milliard d'euros. Cela, évidemment pour l'offrir aux actionnaires en mettant à contribution les travailleurs.

Sur les court- et moyen-courriers, cela se traduirait par une forte réduction des équipages commerciaux (400 à 500 hôtesses et stewards en moins). La réaction ne s'est pas fait attendre: des syndicats ont déposé un préavis de grève pour les 27 et 28 février.

Le personnel navigant n'est pas le seul à avoir de bonnes raisons de se faire entendre. À Roissy-CDG, depuis le 9 février, des "pistards", les "chefs avions" qui surveillent le chargement et le déchargement des soutes des appareils et qui en ont ras le bol de la course à la productivité, multiplient les débrayages pour réclamer notamment 92 points pour tous. Il y a aussi des suppressions d'emplois que la DGI (direction industrielle des ateliers d'Air France) vient d'annoncer pour d'ici à 2006: 500 sur 1200 à la Grande Visite d'Orly-Nord et 200 sur 600 dans le secteur correspondant à Toulouse. Le directeur de la DGI a précisé, pas gêné, que ce serait pour faire effectuer les mêmes tâches par des travailleurs de la sous-traitance, celle-ci n'ayant pas attendu la privatisation officielle de la compagnie pour s'y répandre un peu partout, avec son cortège de bas, et même très bas salaires, avec des contrats précaires et des conditions de travail aggravées.

Car c'est comme cela, outre les subventions de l'État, qu'Air France peut afficher une santé financière éclatante.

Retours de bâton

Mais, parfois, les directions des compagnies peuvent tomber sur un os et devoir reculer face à la détermination des travailleurs. Depuis plusieurs mois, les travailleurs de la compagnie nationale italienne Alitalia, dans le capital de laquelle Air France a une participation et qui est membre de la même alliance aérienne internationale, SkyTeam, font grève massivement, manifestent ou bloquent l'accès à l'aéroport de Rome-Fiumicino, en bravant la loi antigrève en vigueur, refusant le plan de 2700 licenciements annoncé par la direction pour préparer la privatisation d'Alitalia et sans doute sa reprise par Air France.

Alors, si les actionnaires, présents et à venir, de ces compagnies privatisées ou en cours de privatisation voient dans leurs fusions et alliances des raisons d'espérer un accroissement de leurs profits (ces "économies d'échelle" dont parlent tous les patrons), les travailleurs, plus nombreux à avoir de fait le même patron, devraient et pourraient, eux, y puiser une force accrue pour se défendre.

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