Haïti : La population victime des affrontements19/02/20042004Journal/medias/journalnumero/images/2004/02/une1855.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Dans le monde

Haïti : La population victime des affrontements

Le 16 février, une semaine après la prise de la ville de Gonaïves par des rebelles (en fait des «chimères», des gangs ayant retourné leurs armes contre leur ancien patron, Aristide), la ville de Hinche, située dans le centre d'Haïti et à proximité de la frontière avec la République Dominicaine, a également échappé au contrôle du gouvernement.

Les policiers de la ville n'ont pratiquement pas opposé de résistance aux assaillants constitués d'anciens militaires exilés avec à leur tête Louis-Jodel Chamblain, l'un des chefs des paramilitaires sous la dictature du général Raoul Cédras, qui renversa le premier gouvernement d'Aristide en 1991. Alliés aux bandes armées qui contrôlent désormais Gonaïves et une bonne partie du nord d'Haïti, Chamblain et ses hommes menacent de marcher sur la capitale Port-au-Prince pour destituer le gouvernement. En attendant, le «Front de résistance de l'Artibonite», comme ils se nomment, s'attaque à la population d'une zone s'étendant de Gonaïves à Saint-Marc, en débordant sur le plateau central, population qui est rançonnée et victime des affrontements.

À Hinche, certains habitants ont acclamé en libérateurs les paramilitaires qui venaient de chasser une police honnie pour ses exactions, mais dans les autres villes, et notamment dans les quartiers populaires de Port-au-Prince, la population est bien plus réservée. Si beaucoup de personnes ne supportent plus la corruption et l'incurie du régime d'Aristide, ni le climat de terreur qu'entretiennent sa police et ses «chimères», elles craignent également de voir revenir les partisans de l'ex-dictature militaire, réfugiés en grand nombre en République Dominicaine.

De son côté, l'opposition politique, tout en déclarant son soutien à la population du Nord qui réclame le départ d'Aristide, s'est démarquée du mouvement armé de Gonaïves. Mais elle ne parvient pas plus que l'opposition armée à rallier les classes populaires. Il est vrai qu'elle réunit un ramassis de politiciens, compromis avec le régime de Duvalier comme avec les dictatures qui se sont succédé depuis sa chute, et des représentants d'un patronat connu pour son avidité, son intolérance à l'égard des organisations ouvrières et la violence de ses méthodes. André Apaid, coordonnateur du Groupe des 184, met en avant le «caractère pacifique de la mobilisation anti-Lavalas (nom du parti des aristidiens)», mais ce pacifisme, ses comparses de la «société civile», les patrons, ne l'appliquent pas dans les entreprises qu'ils dirigent, où ils continuent à exploiter les ouvriers pour des salaires dérisoires, inférieurs à 2 euros par jour.

Quant à Aristide, toujours soutenu par Washington, il s'accroche au pouvoir, décidé à tenir jusqu'au terme de son mandat présidentiel, prévu en 2006. Dans les zones où ses partisans contrôlent la situation, comme le département de l'Ouest et la région de Port-au-Prince, la population est sous la menace des chimères qui quadrillent les quartiers.

Dans l'immédiat, c'est surtout le chaos qui règne sur une bonne partie de ce pays, le plus pauvre des Amériques. À Port-au-Prince, l'université et de nombreuses écoles sont fermées depuis les exactions commises par les partisans d'Aristide début décembre à la faculté des Sciences humaines. L'hôpital général est à moitié déserté. Dans les rues défoncées, encombrées d'immondices, les moyens de transport collectifs ont quasiment disparu. Se sentant de plus en plus isolés, les partisans d'Aristide traquent avec encore plus de haine et de violence les manifestants, les étudiants, plus généralement ceux qu'ils supposent être des opposants. Dans les bidonvilles, les chimères multiplient les rackets et les actions de représailles, mitraillant les maisons et tabassant les opposants.

Quant à la population pauvre, elle s'enfonce chaque jour un peu plus dans la misère. Certaines ONG redoutent même un désastre humanitaire dans les provinces du Nord; la situation qui était précaire est devenue catastrophique, la seule route d'accès pour les denrées et le carburant étant coupée à Gonaïves. Le chômage frappe la majorité du pays et les maigres salaires ne permettent même pas d'acheter les produits de premières nécessité, d'autant que les prix flambent. Ainsi, alors que le salaire journalier tourne autour de 76gourdes, il en faut 20 pour avoir deux tomates, trois oignons ou trois bananes. Le délabrement de l'État et des services publics est encore plus visible en province: routes inexistantes, absence de centres de soins et de médicaments, populations privées d'eau et d'électricité... Récemment, le maire d'une petite ville côtière du nord expliquait ainsi son impuissance: «Les recettes fiscales de la commune atteignent à peine 250 dollars par an et, depuis trois ans, je n'ai touché aucune subvention de l'État. La crise politique actuelle ne change pas grand-chose».

Malheureusement, si ce n'est sûrement pas du côté d'Aristide que les classes pauvres peuvent attendre des solutions, elles ne peuvent pas plus en attendre de l'opposition officielle, ni des bandes armées qui sont en train de profiter des faiblesses de l'appareil d'État haïtien pour se tailler des fiefs et développer leurs trafics.

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