Haïti : La contestation contre Aristide s'étend12/02/20042004Journal/medias/journalnumero/images/2004/02/une1854.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Dans le monde

Haïti : La contestation contre Aristide s'étend

En Haïti, le mouvement de contestation du pouvoir d'Aristide a pris une nouvelle dimension; plusieurs villes, notamment dans le centre et le nord du pays (région de l'Artibonite), échappent désormais au gouvernement.

Après de violents combats avec la police, Gonaïves, quatrième ville du pays, est ainsi tombée aux mains du "Front de résistance de l'Artibonite", nouvelle dénomination de "l'Armée cannibale", une bande d'hommes de main qui, après avoir été au service d'Aristide, est passée dans le camp de l'opposition après l'assassinat de son chef par le pouvoir l'an dernier. Si la ville de Saint-Marc, située sur la route reliant la capitale Port-au-Prince aux Gonaïves, semble avoir été reprise en main par le pouvoir, non sans avoir été préalablement pillée par les insurgés, d'autres villes de moindre importance comme Anse Rouge, Liancourt et Petite-Rivière de l'Artibonite échappent toujours à son contrôle. Dans le sud, les rebelles ont également pris le contrôle de Grand-Goâve, après avoir incendié les commissariats et mis en fuite les policiers. Leur chef Ti Nènè qui dirigeait, il y a quinze jours seulement, un gang de "chimères" pro-Aristide, a dénoncé les exactions du régime et dit à la radio être passé dans le camp de l'opposition.

Pour l'instant, les leaders de l'opposition ne prennent pas ouvertement le parti des rebelles. Eux, qui ont toujours eu peur des débordements de la population pauvre, se limitent à réclamer un départ d'Aristide sans violence.

De son côté le président Aristide, qui a dénoncé une tentative de coup d'État, réaffirme qu'il ira jusqu'au bout de son mandat actuel, c'est-à-dire jusqu'en 2006. S'il bénéficie encore d'un certain soutien dans les milieux populaires, sa popularité n'a plus grand-chose à voir avec celle dont il jouissait lors de sa première élection en 1990 où il totalisa près de 70% des voix. Depuis, ce curé qui se voulait le porte-parole des pauvres n'a pas seulement rompu avec l'Église, il a surtout trahi les espoirs qu'il avait soulevés dans la population haïtienne et montré son incapacité à faire quoi que ce soit pour les pauvres. Chassé du pouvoir et contraint à l'exil par un coup d'État militaire fin 1991, il n'a pu opérer un retour qu'à la faveur d'une intervention militaire américaine en 1994. Depuis, il a non seulement multiplié les compromissions avec les pires crapules des régimes précédents et affiché son respect servile pour les possédants, mais il est devenu le "baron de Tabarre", étalant son scandaleux enrichissement personnel, comme celui de son entourage.

Pour faire taire les opposants ou pour encadrer les manifestations de soutien à son régime, il a également mis sur pied les "chimères", des bandes armées le plus souvent recrutées dans les bidonvilles. Ces gangs jouent le rôle de supplétifs de la police contre les opposants et font régner la terreur dans les quartiers pauvres.

La situation actuelle, qui se caractérisait il y a quelques jours encore par des manifestations de plus en plus amples et fréquentes contre Aristide, fait d'ailleurs suite à une intervention violente des "chimères" à la faculté des Sciences humaines, le 5 décembre dernier. La contestation des étudiants prit alors un ton politique, mais limité à la seule revendication du départ d'Aristide.

Cette entrée en lice des étudiants qui, en dépit de la répression sanglante de la police et des chimères, multiplient les manifestations contre le régime, a fourni une masse de manoeuvre à une opposition politique qui jusque-là n'en avait pas. La plus ancienne composante de cette opposition, la Convergence démocratique, est constituée d'un ramassis de vieux politiciens, allant des ex-duvaliéristes aux aristidiens déçus de ne pas avoir eu accès à la mangeoire, en passant par tous ceux qui se sont vendus aux généraux qui se sont relayés au pouvoir depuis la chute de Duvalier; elle ne pouvait donc faire illusion et mobiliser la population.

Cette dernière est tout aussi réservée vis-à-vis de l'autre composante de l'opposition, "le groupe des 184". Il est vrai que ceux qui prétendent incarner les aspirations de la "société civile" ne sont que les représentants de la bourgeoisie d'affaires et de la petite bourgeoisie intellectuelle, et nullement ceux des couches populaires. La personnalité de ses deux leaders, Charles-Henry Backer et Andy Apaid, tous deux riches patrons interdisant, y compris par la violence, toute contestation ouvrière dans leurs entreprises, en dit long sur les objectifs de ce mouvement.

Une chose est sûre, dans ce pays pillé par les grandes puissances impérialistes, américaine et française notamment, mais aussi par ses classes possédantes, les couches les plus pauvres sont au bord de la catastrophe: le pouvoir d'achat des ouvriers -pour ceux qui ont un travail- a été divisé par quatre depuis la chute de Duvalier, la hausse des prix rend même inabordables les produits de première nécessité et la famine menace bien des foyers. Dans l'épreuve de force qui s'est engagée, les travailleurs ne peuvent compter ni sur le camp aristidien, ni sur les chefs de gangs fraîchement reconvertis, ni sur ceux qui incarnent l'opposition politique pour prendre les mesures vitales qui s'imposent.

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