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Dans le monde
Allemagne : Une vague d'attaques antiouvrières
Fin janvier a éclaté, outre-Rhin, un nouveau scandale qui a mis en lumière la politique pratiquée par l'Agence fédérale pour le travail (l'ANPE allemande). Le chef de cette agence, Florian Gerster, a été licencié pour avoir passé un contrat avec une entreprise de Berlin... sans respecter la procédure normale d'appel d'offres. Et du coup il a été largement su que cette société de communication était chargée, pour la modique somme de 1,3 million d'euros, de prodiguer des conseils en marketing, c'est-à-dire d'aider à faire passer la politique anti-chômeurs du pouvoir: pressions pour qu'ils acceptent n'importe quel travail, même sous-payé; diminution de la durée d'indemnisation et du montant des allocations; nettoyage actif des fichiers, etc. Alors que le nombre de chômeurs officiellement recensés se maintient à un haut niveau (4 310000 fin décembre, soit 10,4% de la population active), certaines sources, citées par l'office de recherches économiques DIW, estiment que 2,5 millions de personnes bénéficient de mesures de "traitement social du chômage" (petit boulots, stages, etc.), et que le taux de chômage réel se situe en fait à 16%.
Des "réformes" en forme de reculs
L'affaire Gerster est bien révélatrice de la politique menée par le Parti Social-Démocrate (SPD) et les Verts au pouvoir à Berlin, tout à fait comparable à celle de Raffarin et Chirac en France. Annoncé en mars 2003 sous le nom d'Agenda 2010, il s'agit d'un ensemble d'attaques tous azimuts contre les salariés, les chômeurs et les retraités.
Si Schröder a, pour l'instant, renoncé à repousser l'âge légal du départ en retraite de 65 à 67 ans, comme il l'avait envisagé pendant un temps, les attaques contre les retraités se sont multipliées. Sous prétexte d'un trou de 8 milliards d'euros dans les caisses de retraite, le montant de celles-ci a été gelé. Leur revalorisation annuelle prévue pour juillet 2004 a été repoussée d'une année, et peut-être au-delà. Le gouvernement a refusé d'augmenter la subvention qu'il verse aux caisses de retraite pour combler le prétendu "trou". Mais dans le même temps il a trouvé 8,3 milliards pour financer le nouvel avion de transport militaire A-400 M, qui est destiné à soutenir les interventions extérieures de l'armée allemande. Par ailleurs le montant de la cotisation d'allocation-dépendance, qui est supportée par les retraités, va être doublé. Et à compter de 2005 les retraités seront progressivement imposés. Parallèlement, plusieurs grandes sociétés, comme la Commerzbank ou le trust pharmaceutique Schering, viennent d'annoncer qu'elles allaient procéder à des réductions drastiques de leurs systèmes de retraite complémentaire.
Tout cela s'ajoute à la "réforme" du système de santé, adoptée au cours de l'été dernier, avec l'appui au Parlement de la droite, et qui est entrée en vigueur le 1er janvier. Elle consiste à faire payer plus cher les malades et à réduire les prestations. Un drame récent a illustré les conséquences mortelles de ces restrictions. Un patient retraité de 60 ans habitant la petite ville de Hameln est décédé le 13 janvier parce qu'il n'a pas pu se rendre à temps à la dialyse qu'il devait effectuer régulièrement. Il n'avait pas pu régler le coût du transport en taxi car, depuis le début de l'année, la prise en charge du transport par les caisses de Sécu a diminué. Juste avant sa mort, il avait manifesté avec une pancarte devant sa caisse de Sécu en mendiant l'argent nécessaire.
Plus récemment, ce sont les droits des travailleurs qui sont entrés dans la ligne de mire. Gesamtmetall (l'équivalent de l'UIMM) réclame maintenant l'allongement de 35 heures à 40heures, du temps de travail légal dans la métallurgie. De son côté Deutsche Telekom veut imposer à ses employés une baisse des salaires. Et on parle aussi d'une remise en cause des conventions collectives.
"Le chancelier des patrons"
La liste des attaques contre les travailleurs est très longue. Depuis qu'il est arrivé au pouvoir le Parti Social-Démocrate (SPD) a tout fait pour que la bourgeoisie se sorte au mieux de la période actuelle d'incertitude économique. Car malgré la récession (baisse estimée du PIB de 0,1% en 2003, déficit record du budget au-dessus des 3% autorisés par la réglementation européenne), les patrons continuent de s'enrichir. Le travail forcé des chômeurs et les bas salaires exercent une pression sur ceux qui ont encore un emploi et permettent de gonfler les profits. Et, cerise sur le gâteau, le gouvernement a abaissé l'impôt sur le revenu, ce qui profitera avant tout aux riches: le taux sur la tranche supérieure des revenus passera ainsi de 53% en 1998 -année de l'arrivée de Schröder au pouvoir- à 42% en 2005.
Cette situation conduit à un discrédit profond du SPD et Schröder n'est plus désigné, dans bien des entreprises, que comme "le chancelier des patrons". Les sondages prévoient désormais une énorme avance (de 18 points) pour le parti de droite, la CDU, en cas d'élection législative, et donc un retour de la droite au gouvernement. Le SPD a aussi perdu 43000 adhérents au cours de la seule année 2003, soit le plus grand recul depuis cinquante ans! Quant à la confédération syndicale DGB, elle accuse un recul de 500000 adhérents au cours des deux années écoulées. Et cela ne s'explique pas simplement, comme le prétendent les dirigeants syndicaux, par la suppression de postes de travail dans les entreprises.
L'inaction des dirigeants syndicaux
Ce sentiment de dégoût envers les dirigeants sociaux-démocrates peut-il se transformer en colère salutaire? Il est certain que la bureaucratie syndicale ne veut rien entreprendre qui puisse gêner le SPD, et donc rien faire pour permettre au mécontentement de s'exprimer et de se renforcer. Elle a, par exemple, refusé de soutenir la manifestation du 1er novembre contre les coupes dans les budgets sociaux, qui a tout de même rassemblé 100000 personnes à Berlin. Quant aux dirigeants de la fédération de la métallurgie, ils revendiquent, pour la prochaine négociation salariale de branche, une hausse bien modérée de 4% (pour un an et demi environ). En 2002, ils avaient entamé les négociations précédentes en réclamant 6,5% pour finir par accepter 3,1%. Autant dire qu'ils ne se préparent pas vraiment à la lutte.
Pourtant de nombreux mouvements de protestation ont lieu ici ou là depuis le mois de septembre: manifestations locales, débrayages d'avertissement dans de grandes entreprises, etc.
Après bien des discussions, les initiateurs de la manifestation du 1er novembre (un ensemble de groupes allant d'Attac à l'extrême gauche en passant par certains syndicats de base) ont fixé le prochain objectif central aux 2 et 3 avril. Il s'agit en fait de deux journées d'action "pour une Europe sociale" prévues de longue date par la Confédération Européenne des Syndicats (CES), comme celle-ci en organise depuis quelques années sans aucune conséquence positive pour la mobilisation du monde du travail. Ce n'est certes pas cette échéance, cinq mois après la précédente, qui fera vraiment peur à la bourgeoisie et contraindra le gouvernement à son service à reculer. D'autant que le DGB, qui est membre de la CES, prévoit aussi d'appeler à ces journées et, sans doute, de les encadrer.
Les organisateurs de la journée du 1er novembre pensaient-ils qu'ils n'étaient pas de taille à proposer une autre initiative? Estimaient-ils que les travailleurs n'étaient pas prêts à se mobiliser au-delà de la manifestation de Berlin? Ou bien n'avaient-ils pas vraiment envie de vérifier si la classe ouvrière répondrait présent en plus grand nombre à une autre action? Reste que ces journées des 2 et 3 avril, si elles sont réellement préparées, peuvent être connues du plus grand nombre. On ne sait pas encore quelle forme elles prendront. Y aura-t-il simplement des manifestations décentralisées? Y aura-t-il une journée de grève le vendredi 2, ce qui serait une première depuis très longtemps en Allemagne? Il serait en tout cas nécessaire, à cette occasion ou à une autre, que des secteurs de la classe ouvrière aient envie d'aller plus loin et d'entraîner les autres. Car seule une mobilisation de l'ensemble du monde du travail pourra mettre un coup d'arrêt au profond retour en arrière que patrons et gouvernants organisent.