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Editorial
Juppé condamné par une loi qu'il a fait voter
Dans la guerre qu'il livre aux catégories les plus pauvres de la population, le gouvernement ne laisse passer aucune occasion. Le remplacement de diverses prestations familiales par la PAJE (prestation d'accueil du jeune enfant) va se traduire pour des milliers de femmes vivant déjà avec de très faibles ressources (les 530 euros mensuels garantis par l'Allocation pour parent isolé) par une perte de 1300 euros dans les huit mois entourant la naissance de leur enfant, soit 30% de leurs revenus en moins durant cette période. Par contre, les familles les plus riches percevront 160 euros de plus par mois et, quand elles emploient une nurse pour s'occuper de leurs enfants, elles continueront à bénéficier d'une réduction d'impôt pour emploi de personnel à domicile.
Pour le ministre des Affaires sociales, ce hold-up sur les ressources des mères les plus déshéritées ne serait qu'un "point de détail". En tout cas, le cas Juppé a plus intéressé la grande presse que le sort de ces mères qui n'ont pourtant, elles, commis aucun délit!
On a rarement entendu un tel concert de louanges adressé à un homme condamné pour des faits dont personne n'ose nier la réalité. "Un homme courageux... un homme d'honneur... un homme dont la France a besoin"... L'ironie de l'histoire, c'est que Juppé a été condamné par des juges qui ont simplement appliqué une loi que fit voter le gouvernement Balladur... auquel ce même Juppé appartenait, et que tous les ténors du parti gaulliste se sont empressés de critiquer une décision de justice... ce qui, depuis une loi due à de Gaulle, est en principe un délit!
Que Juppé soit "honnête", c'est-à-dire n'ait pas retiré d'avantage personnel de cette affaire d'emplois fictifs, offerts par la Ville de Paris et des entreprises privées à des cadres du RPR, est secondaire. Car ce que cette affaire montre, comme celles qui avaient éclaboussé le Parti Socialiste en son temps, c'est l'emprise de l'argent sur la vie politique.
Nous vivons dans un pays qui se veut une "démocratie". C'est évidemment mieux qu'un régime de dictature. Mais cette prétendue démocratie n'est qu'un paravent, derrière lequel se dissimule la toute-puissance du grand capital. La bourgeoisie possède ou contrôle tous les grands moyens d'information. Elle a à son service des armées de prétendus spécialistes dont le métier consiste à fabriquer l'opinion dans le sens qui convient le mieux aux possédants. Mais aussi des partis qui défendent ses intérêts, et à qui elle offre en retour les moyens de monopoliser la vie politique.
Ce sont les électeurs qui décident, nous dit-on hypocritement. Mais aucun travailleur, aucune organisation ouvrière indépendante des puissances d'argent, ne peut rivaliser à armes égales, dans une compétition électorale de quelque importance, avec les partis qui représentent les intérêts des classes dominantes.
Il y a quelques années, à la suite de la multiplication "d'affaires" trop criantes, la loi a hypocritement interdit les subventions ouvertes des entreprises aux partis politiques, et a mis en place un financement "public" (dans lequel la droite et le Parti Socialiste se sont réservé la part du lion). Mais cela n'a évidemment pas empêché les vieilles pratiques, l'aide indirecte des grandes entreprises aux partis politiques de leur choix, les commissions versées à la suite de marchés juteux, ou l'utilisation des moyens que donne la gestion d'une grande ville ou d'une région, de continuer. Pour les classes riches, ces miettes redistribuées aux partis qui les servent ne sont rien en comparaison des cadeaux que les dirigeants politiques du pays leur font: les innombrables mesures prises pour permettre à la bourgeoisie de s'enrichir toujours plus au détriment des travailleurs en sont la preuve.
Mais puisque nous allons bientôt être appelés à voter pour décider qui, de la droite ou de la gauche plus ou moins plurielle, gérera dans les Conseils régionaux les intérêts de la bourgeoisie, servons-nous de cette élection pour voter pour les listes d'extrême gauche LO-LCR, le seul geste utile possible, pour dire que nous sommes de plus en plus nombreux à être déterminés à vouloir chambouler ce régime.
Arlette LAGUILLER
Editorial des bulletins d'entreprise du 2 février 2004