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Grande-Bretagne : La guerre des mensonges continue
Comme tout le monde s'y attendait, la raison d'État l'a emporté sur l'évidence. En rendant son verdict le 29 janvier, la commission chargée d'enquêter sur la préparation de la guerre en Irak a blanchi Blair, ses ministres et tout l'appareil de hauts fonctionnaires et de conseillers plus au moins obscurs qui les entourent, de toute tentative de tromper l'opinion.
Cette commission avait été mise en place par Blair l'été dernier à la suite du scandale causé par un programme de Radio 4, l'une des chaînes de radio de la BBC, où le journaliste Andrew Gilligan avait affirmé avoir reçu la preuve que le gouvernement avait délibérément "enjolivé" son dossier sur les "armes de destruction massive" de Saddam Hussein pour rallier l'opinion à l'agression anglo-américaine contre l'Irak. Par la suite, le nom de la "source" de Gilligan, David Kelly, un expert en armement auprès du ministère de la Défense, avait été mystérieusement rendu public. Peu de temps après, celui-ci s'était suicidé dans des circonstances qui restent toujours entourées d'obscurité. Pour gagner du temps et tenter d'amortir le scandale, Blair avait alors ordonné la création d'une commission d'enquête soi-disant indépendante.
Mais, en choisissant Lord Hutton pour diriger cette commission, Blair n'avait pris aucun risque. Homme du sérail, Hutton était surtout connu pour son rôle à la tête du système judiciaire d'Irlande du Nord sous les précédents gouvernements conservateurs, où il avait organisé les juridictions d'exception chargées de la répression contre les opposants à l'occupation britannique. Un homme aussi lié avec la hiérarchie de l'armée et des renseignements ne risquait pas de se retourner contre les institutions de l'État!
Le verdict de la commission Hutton a donc répondu à ce que Blair attendait d'elle. Qu'importe si le fameux dossier de Blair sur les armes de Saddam Hussein, prétendument produit par la fine fleur du renseignement britannique, s'est très vite révélé n'être qu'un vulgaire plagiat très largement inspiré d'un mémoire universitaire publié dix ans plus tôt aux États-Unis! Qu'importe aussi si la capacité qui y était attribuée à Saddam Hussein de déployer ces armes en 45 minutes n'avait aucun sens, s'agissant d'un pays qui venait de subir plus d'une décennie de sanctions économiques et de bombardements incessants.
Pour Lord Hutton, ainsi qu'il l'écrit en préface de ses conclusions, il ne s'agit là que de détails ne relevant pas de sa compétence et qui ne peuvent en aucun cas mettre en cause la bonne foi du gouvernement Blair. Le fait de recourir à de tels mensonges afin de justifier une guerre et une occupation sanglantes pour le seul profit des grands trusts ne constituerait donc pas une "faute". En revanche, d'après Hutton, ce qui constituerait une faute serait d'avoir osé mettre en cause la bonne foi des institutions politiques! Ce sont donc Gilligan et la BBC qui se retrouvent cloués au pilori par le rapport Hutton, et réduits au rôle de boucs émissaires.
Mais pas plus le cirque médiatique entourant la publication du rapport Hutton que les manchettes de la presse sur la "victoire" de Blair n'ont suffi à faire remonter son crédit dans l'opinion à en juger par les sondages. D'autant moins, sans doute, que cette publication est survenue au lendemain d'un vote peu glorieux pour Blair au Parlement, où il a fait passer, avec tout juste cinq voix de majorité, une loi qui triple le montant des frais de scolarité universitaires -un reniement spectaculaire par rapport aux promesses de Blair lors des dernières élections. Résultat, les sondages d'opinion effectués depuis indiquent avec un bel ensemble qu'une majorité de 55 à 66% des sondés pensent que le gouvernment leur ment.
C'est sans doute pourquoi, suite à la démission du responsable américain des inspections d'armes en Irak, qui a torpillé ses dernières défenses concernant les armes "cachées" de Saddam, Blair vient d'annoncer, en même temps que son compère Bush -qui lui, il est vrai, a des problèmes électoraux encore plus immédiats- la constitution d'une nouvelle commission d'enquête, cette fois sur le "rôle des services de renseignements dans l'évaluation des armes de destruction massive de Saddam Hussein". En faisant cette annonce au Parlement, Blair a néanmoins pris grand soin de souligner qu'il ne s'agissait en aucun cas de soumettre à un quelconque examen le bien-fondé de sa politique guerrière -ce qui est en soi tout un programme!
Reste à savoir si cette nouvelle tentative pour gagner du temps et détourner l'attention de l'opinion fera plus recette que la précédente. L'avenir le dira mais on peut en douter. En attendant, ce qui est sûr, c'est que même si cette nouvelle parodie de "justice" médiatique finit par offrir un bouc émissaire en pâture à l'opinion, les institutions de l'État britannique, elles, en sortiront blanchies.
Pendant ce temps, l'Irak continuera à s'enfoncer dans un chaos de plus en plus meurtrier, conséquence directe de la politique de Blair et de Bush. Mais ces criminels de guerre n'ont rien à craindre, en tout cas pas des institutions politiques des puissances impérialistes. Le sort du peuple irakien n'y intéresse personne.