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Leur société
Recherche scientifique : Les chercheurs pour la défense des emplois
«Voleurs! Menteurs!» S'ils entendent le bruit qui monte des laboratoires depuis plus d'un an, Raffarin et Chirac doivent avoir les oreilles qui sifflent. Le ras-le-bol des chercheurs quant aux mesures du gouvernement contre la recherche scientifique s'exprime en effet depuis longtemps, ponctué de pétitions et de manifestations, massives pour cette catégorie.
Plus de 5000 signatures recueillies en septembre 2002 contre les premières coupes annoncées dans le budget (-15% hors salaires); 7500 au printemps 2003, lorsque les collectifs budgétaires sont venus rajouter au délabrement des instituts de recherche, par ailleurs privés sans aucune justification officielle des reliquats de paiements de 200 millions d'euros à la fin 2002; des manifestations de plus de 10000 personnes dans la même période, avec des pointes dans certaines villes de province et 8000 personnes à Paris...
Cristallisée alors sur le chiffre de 3% du produit intérieur brut consacrés à la recherche (alors qu'on tourne, depuis les années soixante-dix, autour de 2%), parce que c'était une promesse -d'ailleurs commune- des candidats Chirac et Jospin, la protestation n'avait pas cessé.
Mais aujourd'hui, ce n'est plus tout à fait de cela qu'il s'agit, et la vague d'indignation qui déferle des labos a pris un tour plus déterminé dans une pétition par laquelle, engagement ultime, les responsables d'équipes de chercheurs menacent de remettre collectivement leur démission, si Chirac et Raffarin persistent dans leur politique. Car le gouvernement a non seulement continué cette année la réduction des budgets, mais cette fois il s'est attaqué de front à l'emploi des jeunes dans les laboratoires. Et c'est cela qui a décuplé la colère.
En refusant de remplacer par un fonctionnaire titulaire un départ en retraite sur trois, il a en effet fait chuter brutalement les recrutements de jeunes chercheurs à des niveaux parmi les plus bas qu'on ait connus. L'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), avec plus de 2300 chercheurs, n'en recrutera ainsi que 30 cette année. Trente chercheurs, pour l'ensemble des domaines de la recherche médicale et en santé publique! Cela veut dire que, pour des disciplines entières, 2004 sera une année blanche. Et même noire en fait, car cela veut dire des dizaines de laboratoires et des centaines d'équipes dans lesquels les jeunes chercheurs, après leur thèse, ne pourront même pas concourir en vue d'un recrutement. C'est du jamais vu.
Les jeunes chercheurs étrangers travaillant ici ont déjà commencé à payer le prix de cette politique car, étranglé, l'Inserm a simplement refusé en masse le renouvellement de leurs bourses dès cet automne. Plusieurs dizaines d'entre eux ont ainsi, souvent d'un mois sur l'autre, été renvoyés dans leur pays d'origine!
Au Centre national de la recherche scientifique (CNRS), la situation n'est en apparence un peu moins mauvaise que parce que la direction générale avait encore, cette année, quelques réserves de postes pour assurer un recrutement, certes très modeste, mais pas totalement catastrophique (Si elle n'avait pas procédé ainsi, un tiers des quelque 300 recrutements mis au concours au total n'auraient pas pu être programmés). L'organisme a toutefois perdu dans la manoeuvre toute possibilité d'accueillir des chercheurs étrangers dans ses laboratoires, et il ne pourra pas répéter l'opération si la politique est la même l'an prochain, car ses réserves sont à présent épuisées.
Voilà donc ce que donne la politique gouvernementale de l'emploi dans les services publics, appliquée à la recherche scientifique. Le gouvernement taille dans le vif de la recherche publique de la même façon qu'il frappe l'ensemble des fonctionnaires, dans tous les secteurs. Privilégiés du savoir, souvent flattés dans les discours dominicaux des hommes politiques de tous bords qui leur donnent facilement -comme Chirac vient encore de le faire- de la «priorité nationale», les scientifiques n'en font pas moins partie de ces fonctionnaires que le gouvernement a décidé de mettre à contribution de toutes les façons possibles, pour payer sa politique de défense des intérêts du patronat.
Mais en s'attaquant aux jeunes dans les laboratoires, en leur refusant tout avenir, en s'attaquant brutalement à l'emploi, en menaçant de vider les laboratoires publics, le gouvernement a peut-être fait un pas de trop. Car, chefs d'équipe ou pas, les scientifiques n'ont plus aujourd'hui qu'une solution pour sauver leur activité: gagner le bras-de-fer qu'ils ont engagé avec le gouvernement en le faisant reculer.
La pétition des chercheurs qui, au rythme moyen de mille signatures de plus par jour, a fait la Une des journaux depuis le 7janvier n'est pas ainsi la énième répétition d'une défense aux accents corporatistes ou nationalistes, comme certains tentent de la présenter. Il s'agit bien d'un combat dont l'issue pourrait concerner l'ensemble des travailleurs du secteur public, confrontés, comme ceux de la recherche, aux attaques contre l'emploi public menées par le gouvernement.