Changement des statuts d’EDF et GDF : Ouverture du marché et ouverture du capital15/01/20042004Journal/medias/journalnumero/images/2004/01/une1850.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Dans les entreprises

Changement des statuts d’EDF et GDF : Ouverture du marché et ouverture du capital

Le changement de statut qui devait transformer EDF et GDF, d'EPIC (établissement public à caractère industriel et commercial) en sociétés anonymes ordinaires, a été une fois de plus reporté par le gouvernement à des temps plus favorables, c'est-à-dire après les élections. Il est évident que ni l'opinion publique ni les salariés d'EDF et GDF ne veulent ce changement de statut qui sera le début de la privatisation. Mais si le gouvernement reporte, il ne renonce à rien.

Actuellement EDF et GDF (qui sont maintenant juridiquement séparés, bien que les factures et les relevés de compteurs continuent à se faire sous le sigle commun EDF-GDF) sont des entreprises d'État. Il y a deux aspects, liés bien que distincts: l'ouverture du marché de l'électricité et du gaz d'une part, «l'ouverture» du capital (autrement dit le début de la privatisation) d'autre part.

L'ouverture du marché correspond à une décision de l'Union européenne qui s'applique par étapes, les très gros clients d'abord (pour eux, c'est aujourd'hui un fait accompli), les PME-PMI ensuite et les simples particuliers plus tard. En théorie, chaque consommateur pourra choisir son fournisseur, exactement comme dans la téléphonie un client peut choisir France-Télécom, Bouygues ou un autre. Dès le 1er juillet 2004, tous les professionnels qu'on trouve dans les pages jaunes des annuaires (soit 2,5 millions de clients) pourront choisir de rester chez EDF ou de prendre un autre fournisseur, à condition que ce dernier ait les capacités de fournir l'électricité demandée. En France on en est là mais, dans d'autres pays d'Europe, l'ouverture du marché est déjà totale, ce qui ne va pas sans poser une multitude de problèmes.

Baisse ou... hausse des tarifs ?

Les autorités européennes, pour justifier l'ouverture des marchés, affirment qu'avec l'introduction de la concurrence il y aura nécessairement baisse des prix. C'est stupide. Les lois du marché n'entraînent pas forcément la baisse des prix, mais tout au plus leur adaptation en fonction de l'offre et de la demande, soit à la baisse, soit à la hausse. En outre, le «marché libre» est une ineptie. Il existait en Europe des sociétés d'État, avant l'actuelle vague de déréglementation et de privatisation. Il existe aujourd'hui quelques gros trusts de l'électricité ou du gaz, deux ou trois par pays généralement (cas de l'Allemagne, de l'Espagne, etc.) qui se concurrencent mais se mettent aussi d'accord sur les prix.

Lorsque les prix sont jugés trop bas par les compagnies d'électricité, elles restreignent leurs investissements, pour limiter la production afin que les prix remontent. Et parfois, comme ce fut le cas en Californie, elles arrêtent des centrales sous prétexte d'incidents ou d'entretien, afin de provoquer une pénurie artificielle et une explosion des tarifs. C'est le fonctionnement habituel du capitalisme.

Le credo libéral, selon lequel l'ouverture du marché entraînerait forcément une baisse des prix, est d'ailleurs contredit par l'expérience. Selon les pays et les types de contrats, les choses n'ont pas toujours été dans le même sens. Le phénomène auquel on assiste assez souvent est une baisse des tarifs au début, et ensuite, lorsque le marché et la spéculation s'organisent, une remontée des prix.

Le phénomène a été jugé suffisamment préoccupant par les gros industriels, qui consomment le plus d'électricité en France, et qui se sont publiquement inquiétés de l'opportunité d'ouvrir le marché. Les exemples de la Californie, où la Silicon Valley ainsi que les producteurs d'aluminium ont été privés de courant, ceux de l'Espagne, mais aussi de la Suède, où la spéculation a nui aux industriels (et aux simples usagers aussi, évidemment, mais cela n'est pas leur problème), leur font redouter des hausses de tarifs et des coupures. Et après tout, pour eux, EDF c'est la sécurité, des contrats fiables, à très long terme, très avantageux (car EDF avantage outrageusement les grandes entreprises en faisant payer cher les particuliers). Alors pourquoi se lancer dans cette aventure?

Cela dit, l'ouverture du marché est une réalité dans presque toute l'Europe et devrait l'être en totalité en France en 2007.

Quand la concurrence n'existe pas...on l'invente

Jusqu'à présent, en France, face à EDF-GDF, il n'y avait pas de concurrents sérieux. Alors il a fallu les fabriquer, tout d'abord en séparant EDF de GDF. Mais attention, en tant qu'entreprise concurrente, l'électricien EDF aura le droit de faire des offres dites «multiservices», c'est-à-dire de vendre, avec l'électricité, de la chaleur et du gaz, en s'associant à un fournisseur de gaz concurrent de GDF par exemple. Quant à GDF, il aura le même droit, donc celui de vendre de l'électricité ou, ce qui revient au même, de s'allier à un électricien concurrent d'EDF. En fin de compte, l'électricien deviendra un peu gazier, et le gazier un peu électricien. Si c'était pour en arriver là, pourquoi avoir séparé EDF de GDF?

Mais ce n'est pas tout. Les autorités ont détaché des petits morceaux d'EDF, qui avaient un statut juridique différent, pour les donner à de futurs concurrents. La Compagnie nationale du Rhône a été bradée à Electrabel (qui fait partie du groupe Suez). Cette même Electrabel a conclu un accord commercial pour cinq ans avec la SHEM, filiale de la SNCF, qui possède et exploite 49 petites centrales hydroélectriques dans le Midi de la France. Par ailleurs la SNET (qui dépendait des Charbonnages de France) a été vendue au trust espagnol Endessa (qui s'est empressé de licencier du personnel, provoquant une grève).

En outre, pour permettre une concurrence «loyale», on a séparé d'EDF le réseau de transport haute tension, qui devient une société distincte dénommée Réseau de Transport d'Electricité (RTE), fonctionnant sous l'autorité d'un gestionnaire de réseau prétendument indépendant. Bref, là où c'était relativement simple, cela devient de plus en plus compliqué, sans que cela change d'ailleurs quoi que ce soit aux parcours des électrons dans les câbles ni à la provenance du courant. Et, pour les simples usagers, on risque d'aboutir à un casse-tête invraisemblable où plus personne n'y comprend rien, comme en Allemagne par exemple, où des intermédiaires sont apparus... pour aider les usagers dans leurs choix!

Vers l'ouverture du capital

Les dirigeants d'EDF, de GDF, de l'État et des instances européennes ne font pas mystère de leur volonté d'ouvrir le capital de ces entreprises aux capitaux privés. En fait, ni EDF ni GDF n'en ont besoin. Elles regorgent de capitaux et achètent à tour de bras des sociétés à l'étranger, EDF surtout. En revanche, le secteur privé lorgne sur les profits attendus par EDF et GDF, surtout dans la perspective d'une libéralisation permettant concurrence et spéculation effrénées.

Cependant la question n'est pas encore officiellement à l'ordre du jour. Là aussi, le gouvernement préfère prendre son temps. Mais cela viendra, et la gauche se garde bien de promettre qu'elle maintiendrait EDF et GDF entièrement dans la sphère publique (comme la réglementation européenne l'y autoriserait d'ailleurs). Droite et gauche préfèrent asséner à l'opinion publique que l'ouverture du marché d'abord, du capital ensuite, sont inéluctables.

Ainsi, au nom de l'Europe, on est en train de s'acheminer vers la foire d'empoigne de la concurrence des trusts, alors que la situation qui existait au départ aurait facilement permis la construction d'un service public de l'électricité et du gaz à l'échelle européenne.

Devant cette évolution, qui n'est justement pas inéluctable, comme on voudrait nous le faire croire, et qui n'est pas un progrès mais une régression, une lutte de l'ensemble de la population, et du personnel d'EDF et GDF, inquiet pour son avenir, s'imposerait.

Malheureusement, la protestation syndicale reste timorée. La CGT a bien distribué à plus de trois millions d'exemplaires un tract de protestation demandant un référendum sur l'avenir du service public, et a prévu pour le 20 janvier un rassemblement concernant la seule région parisienne. Il faut sans doute bien commencer par quelque chose. Mais les militants qui distribuaient le tract en question se posaient tout de même une question toute simple: pourquoi EDF et GDF le 20 janvier, la SNCF le 21, et les hôpitaux le 22... ?

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