Transport aérien : Le profit tue08/01/20042004Journal/medias/journalnumero/images/2004/01/une1849.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Leur société

Transport aérien : Le profit tue

Un spécialiste du risque, reconnu par les autorités européennes et chargé de mission par la Direction générale de l'aviation civile, déclarait à une journaliste du Monde qui l'interrogeait à propos du crash de Charm-el-Cheikh que la maintenance des charters n'était pas en cause. "Celle-ci est imposée par les règlements, contrôlée par les autorités, elle est commune à tous les types d'avions en service et est, de plus, presque toujours sous-traitée à de grandes compagnies aériennes."

A supposer que cela soit exact, ce qui est loin d'être prouvé, ce n'est même pas rassurant. Les lois et les règlements ne sont en principe pas faits pour être contournés, mais c'est quand même ce qui se passe dans la plupart des cas. La loi du profit passe avant tout, y compris dans les compagnies régulières mais bien sûr plus encore dans les compagnies charters. Même si une réglementation et des normes de sécurité identiques devraient s'appliquer, "il est difficile de pouvoir offrir les mêmes prestations techniques lorsque les prix des billets sont plus faibles", reconnaissait un pilote de ligne et "expert enquêtes-accident". Et il est facile d'imaginer les économies réalisées sur ces "prestations techniques" lorsqu'on apprend qu'une compagnie comme Air France, qui a ses propres ateliers de maintenance, envoie certains de ses appareils en Afrique du Sud ou en Thaïlande, là où les coûts d'entretien sont de 30% moins chers, du fait du moindre coût de la main-d'oeuvre et des délais plus rapides, c'est-à-dire nécessairement d'un entretien moins efficace et moins complet. Et pour les mêmes raisons d'économies, Air France négocie actuellement un accord de sous-traitance avec Aeroflot, compagnie russe qui emploie une main-d'oeuvre encore moins chère qu'en Thaïlande...

Quant aux contrôles qui devraient normalement permettre de vérifier le respect des lois et des règlements, en particulier en matière de sécurité des appareils, ils sont effectués par des sociétés qui elles aussi obéissent avant tout à la loi du commerce, de la concurrence et du profit. On sait à quel laxisme cela peut conduire et à quelles catastrophes, comme l'ont montré les différentes marées noires ou l'explosion de l'usine AZF de Toulouse.

De ce point de vue, les autorités suisses ne valent d'ailleurs pas mieux que les autres. Pour s'en convaincre, il faut se souvenir de l'été 2002, lorsqu'un avion civil russe et un avion cargo allemand s'étaient percutés au-dessus du lac de Constance, faisant 71 morts. L'enquête avait mis en cause le contrôle aérien suisse privatisé et il était apparu que la tour de contrôle ne comptait qu'un seul contrôleur aérien au moment de la catastrophe ainsi que des appareils de contrôle en panne. Quant aux États-Unis, les années quatre-vingt-dix ont été marquées par une série de catastrophes aériennes, liées à la déréglementation et au laxisme de l'autorité de contrôle de sécurité. L'accident le plus important eut lieu au-dessus de la Floride, en 1996, faisant 110 morts. L'enquête qui suivit fit apparaître la non-vérification du contrat de maintenance et des règles d'entretien, ainsi que le non-respect des obligations en matière de produits dangereux, transportés en toute illégalité en même temps que les passagers par ce DC9 d'une grande compagnie aérienne américaine.

Même si le transport civil aérien reste le moyen de transport le plus sûr selon les statistiques des accidents, la recherche du maximum de rentabilité se fait là aussi au prix d'une diminution de la sécurité pour le personnel et les passagers. Ce n'est pas la malchance qui est responsable des morts de l'avion de Charm-el-Cheikh mais bien la loi du profit.

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