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Argentine : Deux ans après la chute du gouvernement De la Rua
Les organisations de chômeurs et les partis d'extrême gauche appelaient à manifester, le samedi 20 décembre, pour le deuxième anniversaire de la chute du gouvernement De la Rua, chassé fin 2001 par la colère conjointe des classes populaires et des classes moyennes face aux conséquences de l'effondrement de l'économie.
Plusieurs dizaines de milliers de personnes ont ainsi défilé à Buenos Aires en direction de la Maison Rose, le palais présidentiel. Au cours de la journée, un engin explosif placé dans une poubelle publique a explosé faisant vingt-cinq blessés. Nul ne sait d'où vient cette provocation, mais elle arrive au terme d'une campagne de dénigrement orchestrée par la presse financière et par des politiciens qui cherchent à discréditer les mouvements de chômeurs les plus militants.
Deux ans après la chute du gouvernement De la Rua et de l'économie argentine, qui a jeté dans l'indigence quelque 50% de la population, la société est loin d'avoir retrouvé la situation qui était la sienne dans les années quatre-vingt-dix. Le président Kirchner a beau dire que l'Argentine n'est plus en enfer mais au purgatoire, le paradis de la prospérité reste ouvert pour l'essentiel aux plus riches. Si le ministre de l'Economie peut mettre en avant des chiffres de production qui impressionnent d'autant plus que l'économie redémarre de très bas, il reste que la production industrielle n'a retrouvé que 65% de ses capacités productives d'antan. Cela signifie que les emplois qui peuvent se créer restent au mieux des "petits boulots" sans avenir.
Le gouvernement a en partie désamorcé la colère des classes moyennes en redonnant accès aux comptes bancaires, ce qui explique qu'on ne voit plus guère de manifestants frappant sur des casseroles. Mais l'accalmie financière s'est d'abord traduite par le remboursement d'une partie des dettes de l'État contractées auprès de la finance internationale, et pas par la recherche de solutions d'urgence pour les classes laborieuses. Les classes les plus pauvres restent donc désespérément en enfer, c'est ce qui alimente la combativité des organisations de chômeurs.
Ceux-ci, déjà divisés en de multiples organisations, se regroupent cependant autour de trois grands courants. Les plus modérés prennent pour argent comptant les déclarations et les gestes gratuits que le péroniste Kirchner a multipliés pour essayer de s'attirer des soutiens populaires, en laissant planer l'illusion d'un retour au péronisme d'antan, celui qui après 1945 avait satisfait certaines revendications de la classe ouvrière comme les congés payés ou le treizième mois.
Un deuxième courant salue certains gestes de Kirchner, mais dénonce le fait qu'il est très loin du compte, proteste contre le paiement de la dette et la main-d'oeuvre gratuite que représentent les chômeurs qui bénéficient d'un "plan de travail": un subside échangé contre un travail gratuit pour un patron.
Enfin l'aile la plus radicale considère, à juste titre, que le gouvernement Kirchner est aussi anti-ouvrier que celui de De la Rua et lui promet le même sort s'il continue à lanterner les classes populaires. C'est contre cette aile radicale que tempêtent la presse patronale ou les politiciens péronistes les plus réactionnaires, qui n'imaginent renouer avec la prospérité qu'en enfonçant encore plus les classes pauvres.
De son côté, Kirchner est encore loin d'avoir convaincu le Fonds Monétaire International qu'il peut imposer une politique d'austérité. Les différents groupes industriels privés, étrangers ou argentins, qui se sont partagés les anciens services publics, exigent qu'il mette en application l'augmentation des tarifs. D'autre part, certaines banques argentines, mais aussi des entreprises étrangères, notamment françaises, se préparent ces jours-ci à faire valoir auprès des autorités argentines le "manque à gagner" engendré par la crise économique et par les hésitations de l'État argentin à imposer rapidement une nouvelle politique d'austérité.
Le gouvernement péroniste est plus enclin à céder à ces pressions du patronat, argentin ou étranger, qu'aux revendications de la population. A moins que la colère de la rue ne menace vraiment de s'étendre.