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Dans le monde
Europe : Match nul
La présidence de l'Union européenne par Silvio Berlusconi n'aura pas été immortalisée par l'adoption définitive d'une Constitution européenne. Lors du sommet réuni à Bruxelles les 12 et 13 décembre, les chefs d'État et de gouvernement des 25 pays qui constitueront l'Union à partir du 1er mai 2004 ne sont pas parvenus à un accord.
Le litige ne portait pas sur les grands principes, les héritages historiques, les références démocratiques. Cette eau bénite de cour ne pose problème pour personne. On signe, et on est libre ensuite de faire à peu près ce qu'on veut.
Ce qui coinçait, en revanche, était bien concret: la répartition des votes à l'intérieur du Conseil des ministres européens. Là réside en effet le pouvoir, à l'intérieur de l'Union. Et le pouvoir, à l'intérieur du Conseil, c'est le pouvoir de... bloquer. Dans le contrat de mariage européen, chaque pays se soucie surtout de comment échapper aux règles de la vie commune, voire comment divorcer en emportant la vaisselle.
En 2000, le traité de Nice avait accordé à l'Espagne et à la Pologne 27 voix chacune (8,42% du total), alors que l'Allemagne, l'Angleterre, la France et l'Italie, plus peuplées et économiquement plus puissantes, en avaient 29 (9,04%). A l'époque, Chirac avait été pour, car son grand souci était de limiter les pouvoirs de l'Allemagne.
Aujourd'hui, les quatre "grands" pays sont d'accord pour adopter la nouvelle répartition des votes contenue dans le projet de Constitution présenté par Giscard d'Estaing, répartition qui est fonction de la population. L'Allemagne, avec ses 82 millions d'habitants, aurait 18,22% des mandats. Frôlant les 60 millions, les trois autres "grands", pèseraient autour de 13%. Avec moins de 40 millions, Espagne et Pologne auraient respectivement 8,74 et 8,58% des voix, moins de la moitié de l'Allemagne. Pas étonnant qu'elles refusent toute modification du système antérieur.
Il faut noter que la répartition des voix adoptée dans le traité de Nice n'a jamais servi lors d'aucun vote: elle prévoyait ce qui se passerait en 2004, lors de l'entrée effective des dix nouveaux membres de l'Union. Pendant longtemps, les décisions européennes n'ont été prises qu'à l'unanimité. Puis des systèmes de majorités ont été élaborés. A l'occasion de l'élargissement, les décisions devaient être facilitées, celles-ci pouvant être prises à la majorité simple des États et à une majorité qualifiée de voix (72,3% selon le traité de Nice, 60% seulement selon la Constitution proposée).
Bref, dans cette Europe des États capitalistes, les plus gros voudraient commander sans risque d'être entravés par les moins gros. Mais ceux-ci voudraient aussi commander, ou au moins pouvoir échapper aux décisions prises par les autres. Chaque gouvernement défend avec bec et ongles les intérêts de ses capitalistes, de ses entrepreneurs, de ses banquiers. D'où ces querelles et ces négociations infinies, alors qu'ils sont d'accord sur l'utilité pour eux de l'Union européenne.
Il n'y a que contre les travailleurs qu'ils se retrouvent facilement, menant tous les mêmes attaques contre les systèmes de Sécurité sociale, de retraites, d'indemnisation des chômeurs, sans même avoir vraiment besoin de se concerter et que ce soit à la majorité simple ou à la majorité qualifiée.