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Editorial
Les Restaurants du Coeur, dans une société sans coeur
Avec le retour du froid, les préfectures de soixante-deux départements ont déclenché le niveau 2 du «plan d'urgence hivernale». C'est que le gouvernement Raffarin, qui a vu sa cote de popularité s'effondrer cet été pour s'être montré totalement inefficace dans la lutte contre les conséquences de la canicule, ne voudrait pas revivre la même situation, à cause cette fois d'une vague de froid.
Tant mieux pour les sans-abri si quelques places supplémentaires au chaud leur sont ainsi proposées. Mais l'ouverture de ces quelques refuges ne diminue en rien la responsabilité des pouvoirs publics d'une part, du système économique dans lequel nous vivons d'autre part, dans le fait qu'en France, l'un des pays les plus riches de la planète, des centaines de milliers de gens sont condamnés à la misère.
Il y aurait aujourd'hui dans ce pays 200000 sans-abri. Il y a selon l'Insee 3,7 millions de personnes vivant en dessous du seuil officiel de la pauvreté, c'est-à-dire avec moins de 579 euros par mois (moins de 3800 F) pour une personne seule. Et c'est 700000 pauvres de plus en un an.
Qui aurait dit, en 1985, lors de la création des Restaurants du Coeur, que non seulement ils existeraient encore dix-huit ans plus tard, mais que le nombre de pauvres amenés à les fréquenter pour pouvoir survivre croîtrait d'année en année?
Pourtant au cours de ces dix-huit années, la quantité de richesses produites n'a cessé d'augmenter. Même avec le taux de croissance réduit qu'a connu l'économie française, cela représente une progression de près de 60%. Mais ces richesses ne se sont pas traduites par une diminution du nombre de pauvres. Une petite minorité s'est fortement enrichie. La grande majorité, c'est-à-dire l'ensemble des travailleurs, des retraités, ont vu leur niveau de vie stagner, ou régresser, quand ils n'ont pas été précipités dans la pauvreté.
Car la situation économique n'est pas mauvaise pour tout le monde. Les industries du luxe se portent bien. Les images que l'on a pu voir récemment à la télévision sur le salon nautique montraient des constructeurs heureux, parce qu'il y avait une clientèle pour acheter les palaces flottants qui leur étaient proposés.
Mais à l'autre bout de la société, il y a les victimes des fermetures d'entreprises, des plans de suppressions d'emplois, de la précarité du travail, de la réduction des indemnités de chômage: des hommes et des femmes dont certains finissent par sombrer dans la misère.
Et non seulement l'État, le gouvernement ne font rien contre cela, mais ils sont partie prenante, au côté du patronat, dans l'offensive menée pour réduire sans cesse la part des salariés dans la répartition des richesses. La politique de Chirac et Raffarin, c'est d'alléger la fiscalité en ce qui concerne les plus riches et les entreprises, c'est de multiplier les exemptions de charges sociales au bénéfice de ces dernières, c'est de réduire les indemnités de chômage, de s'en prendre au régime des retraites et à la Sécurité sociale, dans la continuation de la politique des gouvernements des vingt dernières années.
La gauche au gouvernement n'a pas mené une politique différente, en son temps, parce qu'elle ne voulait pas s'en prendre à la racine du mal, c'est-à-dire à la véritable dictature qu'exercent les grandes puissances d'argent sur la vie économique.
Aujourd'hui, le Parti Socialiste dans l'opposition fait mine de critiquer Raffarin. Mais il se contente de dire aux travailleurs que la prochaine fois, ils devraient voter pour lui. Or ce qui est nécessaire, c'est d'obliger les entreprises à rendre leurs comptes publics; c'est de supprimer le secret bancaire, le secret commercial, qui empêchent les travailleurs de s'informer mutuellement et de savoir d'où vient l'argent et où il va; c'est d'interdire les licenciements collectifs, en particulier dans les entreprises qui font des bénéfices.
Et ces mesures indispensables, la classe ouvrière a la possibilité de les imposer, à un gouvernement de droite comme à un gouvernement de gauche, pour peu qu'elle prenne conscience de la force que lui donnent son nombre et sa place dans la production.