Union européenne : Leur constitution28/11/20032003Journal/medias/journalnumero/images/2003/11/une1843.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Dans le monde

Union européenne : Leur constitution

L'Union européenne, dont les premiers pas datent de l'immédiat après-guerre, aura peut-être bientôt une Constitution. Encore que son projet n'a rien de définitif. En effet, les quinze États de l'Union et les dix qui s'apprêtent à la rejoindre en mai prochain déploient une grande activité en coulisse pour infléchir ce projet, chacun dans le sens de ses intérêts exclusifs. Quitte à agiter la menace de ne pas le ratifier le 1er janvier 2004, alors que l'idée de se doter d'une Constitution fait l'objet d'un large consensus entre dirigeants des États européens.

Plus de cinquante ans séparent l'Europe des Six -instaurée par le traité de Paris qui créa, en 1951, la Communauté européenne du charbon et de l'acier (CECA), cet ancêtre du Marché commun, entre l'Allemagne, la Belgique, la France, l'Italie, la Hollande et le Luxembourg-de celle des Quinze actuelle, et des Vingt-Cinq en mai prochain. Un demi-siècle pendant lequel institutions européennes et États nationaux ont cherché à unifier sur un plan réglementaire, douanier, etc., l'espace économique du continent que les trusts et multinationales d'Europe avaient déjà investi dans les faits.

Cinquante ans après

Car c'est l'évolution économique -et non "l'Europe" comme le prétendent les "souverainistes", ces démagogues nationalistes de droite ou de gauche- qui a plus ou moins brisé les barrières entre États européens, qui étouffent l'économie capitaliste depuis longtemps. Sans jamais parvenir à balayer complètement ces obstacles, ni à unifier le continent, "l'Europe" n'a fait, sous ses moutures successives, que tenter de réglementer cet état de choses. Raison pour laquelle, en 2001, les dirigeants européens ont convoqué une "Convention européenne sur l'avenir de l'Europe" chargée d'élaborer "un projet de Traité établissant une Constitution pour l'Europe".

Présidée par Giscard d'Estaing, la Convention a adopté un texte "de consensus" qui rappelle ce que sont l'Union européenne, "ses valeurs et ses objectifs" et qui fixe un cadre aux "relations entre l'Union et les États membres".

Côté "valeurs et objectifs", rien de bien nouveau. Même si certains voudraient que la Constitution mentionne "l'héritage judéo-chrétien de l'Europe", ses valeurs affichées sont celles de tous les États dits civilisés: présentées comme "humanistes", elles n'engagent à rien, tout en défendant l'ordre établi. Même enrobage pour la définition de ses objectifs: essentiellement doter le grand capital d'un marché européen plus ou moins unifié sur un plan réglementaire à l'échelle de 25 pays.

Quant à ce que cela implique sur le plan des relations entre l'Union et ses membres ou à l'intérieur des institutions européennes, c'est là qu'apparaissent quelques changements.

Le projet de Constitution veut modifier les règles de fonctionnement de diverses institutions européennes, à commencer par la Commission, une sorte de gouvernement de l'Union siégeant à Bruxelles, où chaque État a au moins un représentant (cinq "grands" en ont deux). Le nombre des commissaires européens passant de 20 à 15, certains États ne siégeront donc plus à l'exécutif européen.

Au lieu d'une présidence exercée, à tour de rôle pour six mois, par le chef de chaque État ou gouvernement, l'Union aura un président élu pour deux ans et demi. Mais sans grand pouvoir, car contrôlé par la Commission et les grands États qui la dominent. Même chose pour le nouveau poste de "ministre de la Politique extérieure et de sécurité commune de l'Union". Il ne fera certes pas disparaître ces rivalités entre puissances européennes qui, lors de l'offensive américaine sur l'Irak, ont mis l'Union au bord de l'éclatement, ses principaux États s'opposant sur la question.

Le reflet de rapports de forces

Le projet tente aussi d'aménager le fonctionnement de l'Union pour qu'elle ne soit pas trop paralysée par le veto de tel ou tel.

Certains refusent l'idée d'une "défense européenne commune"? L'Allemagne et la France se voient reconnaître le droit (qu'elles ont déjà pris) à une "coopération (militaire) renforcée". Dans d'autres domaines, la règle de prise de décisions à l'unanimité fait place au vote "à la majorité qualifiée". Il suffit qu'une majorité d'États votent "pour" et représentent 60% de la population de l'Union: une façon d'obliger les petits États à se plier à la volonté des plus puissants... qui sont aussi les plus peuplés.

Mais les "grands" se sont assurés que l'unanimité reste de règle dans les domaines (fiscalité, législation du travail, etc.) où ils ne veulent pas qu'une "uniformisation" risque de supprimer les avantages spécifiques dont ils font bénéficier leur bourgeoisie nationale.

Autant dire que, contrairement à ce qu'affirment les chantres de la Constitution, mais aussi ses opposants "souverainistes", celle-ci ouvre moins la voie aux États-Unis d'Europe qu'elle ne consacre l'Europe des États. Vingt-cinq États prétendus égaux, mais dont certains le sont plus que d'autres, surtout les "poids lourds" de l'Union: Allemagne, France, Grande-Bretagne.

D'abord, cette Constitution consacre leur mainmise sur l'Europe centrale et orientale. Car c'est en subordonnés des puissances impérialistes qui dominent déjà les plus petits États d'Europe de l'Ouest, que ceux de l'Est intègrent l'Union. Rien d'étonnant, donc, à ce que le chancelier Schröder ait déclaré qu'il pourrait signer ce projet en l'état; les dirigeants français ou britanniques pourraient en dire tout autant. Et pour les mêmes raisons.

La future Constitution, qui entérine leur domination sur le continent, est aussi le fruit des intérêts divergents et souvent contradictoires des bourgeoisies européennes, à commencer par les plus puissantes d'entre elles. D'où les tractations et marchandages entre États qui continueront jusqu'à la signature du texte final, lequel sera, forcément, un compromis plus ou moins bancal entre les intérêts, à la fois communs et rivaux, des trois plus puissants États de l'Union.

Leur Constitution est à l'image de cette Union. Vaguement fédérale, elle est le produit de l'incapacité des bourgeoisies européennes à unifier réellement le continent, même quand l'intérêt de leur économie l'exigerait, car son État reste, pour chaque bourgeoisie, le meilleur rempart contre ses rivales, et bien sûr l'instrument de sa domination sur la classe ouvrière.

L'Europe des travailleurs contre celle des États de la bourgeoisie

Il y a un siècle qu'à cette incapacité de la bourgeoise le mouvement ouvrier révolutionnaire a opposé la perspective d'une Europe unifiée, débarrassée des frontières et de l'exploitation. Les peuples, et d'abord ceux d'Europe, ont payé de deux guerres mondiales, de dizaines de millions de morts, de destructions et souffrances incalculables, le fait que le prolétariat n'ait pas encore réussi à atteindre cet objectif.

Reflet des rivalités entre puissances impérialistes européennes et des contradictions de leur système, la Constitution dont elles veulent se doter est à l'image de leurs Constitutions et institutions nationales. Toutes ont pour but fondamental de défendre la propriété privée des possédants, leur exploitation de la classe ouvrière et des couches sociales laborieuses.

Si un référendum avait lieu -chose peu probable, surtout après l'échec de celui de Chirac-Raffarin en Corse-, les travailleurs ne pourraient en aucun cas approuver une Constitution européenne faite par et pour les classes possédantes. Mais ils ne sauraient non plus mêler leurs voix à ceux qui la rejetteraient en laissant croire que la Constitution française serait meilleure.

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